Rencontre avec Rebeka Warrior, l'énergie poétique punk et techno aux 100 projets

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Dans le cadre de son tout nouveau projet, la compilation "RainboWarriors Vol 1" et la sortie du clip "P.A.L.O.M.A" avec Paloma et Raumm, nous sommes allés rencontrer Rebeka Warrior  pour parler des méandres de sa carrière artistique, installée sur la scène depuis plus de 15 ans.

Raumm, Paloma et Rebeka Warrior
Crédits photo : Kameliya Stoeva
Interview réalisée le 2 février 2024
Tu as été impliquée dans plein de projets musicaux comme Mansfield.TYA, Sexy Sushi et Kompromat, comment as tu jonglé avec ces différentes collaborations qui ont quand même une esthétique musicale assez différente?

Disons que c'était assez agréable pour moi de pouvoir exprimer plusieurs facettes de ma personnalité dans plusieurs groupes. Plutôt que de tout raconter dans un seul projet, je trouvais ça plus agréable de collaborer avec des gens qui me permettaient de dire une chose plutôt qu'une autre. 

Et dans ces différents groupes, est-ce que tu vois des éléments récurrents ou des changements vraiment drastiques ? Quelle est ta perception ? Est-ce que tu vois ça comme des étapes ?

Je vois surtout ça comme un rapport amical avec quelqu'un.e et c'est quelqu'un.e qui, par exemple dans Sexy Sushi, (Mitch) me donnait envie d'être dadaïste, d'être surréaliste et d'exprimer ce quej'avais à dire d'une manière radicale. Rencontrer Carla m'a permis de creuser plus la musique baroque, classique et d'exprimer ce que j'avais à dire d'une manière plus délicate, plus poétique. Suivant les personnes, je peux exprimer des choses différentes et c'est vraiment ça que je recherche à chaque fois.

crédits : Nadine Fraczkowski
C'est vraiment la personne, c'est la rencontre qui fonde le projet musical ? 

Oui, c'est la rencontre mais disons que, suivant les moments de ma vie et là où j'en suis, et ce que j'ai envie de dire, je vais me diriger vers des personnes plutôt que d’autres. C'est aussi pour ça qu'aujourd'hui, je ne fais plus Mansfield ni Sexy Sushi et que je fais partie de Kompromat.

Pour ce qui est des collaborations à l’extérieur de ces projets, je sais que tu avais collaboré avec Flavien Berger, Françoiz Breut et Maud Geffray. Comment tu décris ces approches de la collaboration et ta capacité à t'adapter à d'autres genres musicaux ?

Le genre musical m'importe peu. C'est vraiment la personne. Avec Maud Geffray, nous avons grandi dans la même ville à Saint-Nazaire donc ça me semblait important d'écrire un morceau qui parle de l'endroit où nous sommes nées toutes les deux. Avec Flavien Berger , et Mansfield nous avons beaucoup tourné ensemble. Nous sommes devenu ami.e.s et ça me paraissait aussi important de marquer un point de notre amitié, de raconter des moments que nous avions bien aimés, par le biais de la musique.

Tu t'es impliquée dans la composition musicale pour de spectacles, de bandes sonores, comment ces collaborations ont influencé ton approche artistique. Et quelle était ta relation par rapport au cinéma et au monde du spectacle ?

Je suis amie de longue date avec Théo Mercier, artiste plasticien, metteur en scène, qui fait toutes mes pochettes, peu importe les groupes. Il s’implique aussi beaucoup dans des spectacles d'art vivant. J'ai collaboré avec lui ponctuellement plusieurs fois sur de nombreux spectacles et c'est comme ça que j'ai un peu commencé à travailler sur des spectacles de théâtre contemporain. Il m'a amenée à m’ouvrir sur ce monde-là et grâce à lui, j’ai rencontré aussi Marlène Saldana et Jonathan Drillet, avec qui j'ai fait Showgirl (ndlr: création de 2021). Ça m'a vraiment éclatée et j'aime la performance et le spectacle vivant de cet ordre-là. Théo Mercier, Marlène Saldana, le Zérep, des choses qui sont hyper dadaïstes, surréalistes et complètement incongrues.

Et tu continuerais ? C'est quelque chose qui t'intéresse toujours ?

Oui, ponctuellement, j'aime faire des créations avec ces gens-là parce que déjà, ils me font mourir de rire et je trouve qu'ils sont à un endroit hyper juste, qui doit exister dans le théâtre. La musique de film, c'est très différent, mais c'est vrai que c'est la musique de théâtre qui m'a amenée à la musique de film parce qu'on est plus dans l’illustration. Je vais moins exprimer ce que je ressens personnellement, c'est plus de l’ordre de la commande. Peut-être qu'à un moment donné j'en ai eu aussi marre de raconter mes propres histoires et mes propres aventures et que je trouvais ça intéressant de me mettre au service d'un réalisateur qui, cette fois-ci, racontait.

Et est-ce qu'il y a des bandes sonores en particulier du cinéma qui t'ont marquée, toi ? 

J'adore la musique de Wendy Carlos qui a fait Shining. Son œuvre entière fait partie de ma discographie de référence. Wendy Carlos a contribué à développer le synthétiseur modulaire Moog avec Robert Moog. En reprenant l'œuvre de Bach ou Bethoveen au synthé, par exemple dans son disque Switched-On-Bach ou Dans la BO d'Orange Mécanique. J'aime aussi beaucoup Mica Levi qui compose pour les films de Jonathan Glazer. Pour d'autres raisons, parce qu'elle utilise vraiment, les instruments classiques, des cordes, du piano etc… avec une forme de minimalisme japonais. C'est comme une petite fléchette empoisonnée. Très peu de notes qui vont directement au cœur. Je trouve que c'est très beau comme on peut utiliser le sound design et le silence dans les bandes-son.

Est-ce que tu as l'impression que la reconnaissance des Césars pour la musique électronique, avec la récompense, par exemple, d'Irene Drésel ou la nomination de Vitalic, que ça permet de peut-être donner un aspect plus grand public à la musique électronique? Comment tu vois ces nominations et ces récompenses? 

Je suis tellement heureuse pour la nomination de Vitalic. J’espère qu’il va ramener la statuette. Ce serait plus que mérité. Autant pour la B.O de Disco Boy que pour l’ensemble de sa carrière. J’aimerais juste que le cinéma et la musique à l'image ne soient pas le seul endroit où les musicien.nes électroniques puissent être reconnu.e.s ! Les Victoires de la musique devraient rétablir la catégorie électronique et s’ouvrir à tous les genres musicaux. Aussi bien à la techno, qu’à la musique expérimentale, qu’au hip hop, à la cold wave au hardcore ou la musique de chambre. La chanson française et la variété n’ont pas le monopole de la musique. 

crédits : Nadine Fraczkowski
Est-ce que tu peux me parler un peu du label? Parce que Warrior Records a été créé en 2020. Et comment ça se passe pour toi d'avoir créé ce label? Qu'est-ce que ça te permet de faire? 

Le label m’a permis de devenir maîtresse de mes propres envies, d’aller où je veux quand je veux. Ça m’a permis aussi de rester proche de ma communauté et de faire un crossover entre le post punk et le féminisme. Je me sens bien à cet endroit. 

Et je voulais savoir, pour ce qui est de la scène, tu as fait des DJ sets, du live. Qu'est-ce que c'était le type de performance qui, toi, te stimule le plus? Est-ce qu'il y en a une? Est-ce que c'est différent et ça t'apporte différentes choses? 

Oui, c'est comme les groupes. À chaque projet, je m'accomplis dans une forme de représentation sur scène. Je n'ai pas que envie de montrer mes seins, de faire des pogos, de me jeter dans la foule sur des canapés d'angle. J'aime aussi, des fois, tu vois, j'aime beaucoup la musique parce qu'elle fait pleurer, parce qu'elle rend mélancolique. Donc, j'aime bien pouvoir exprimer toute cette facette sur scène aussi. 

Le dernier remix que j'ai écouté de toi, c'était pour l'EP de Belaria, Burning Inside. Et je voulais savoir comment tu as abordé cet exercice, l'exercice du remix? Parce que vraiment, personnellement, je me suis toujours demandé comment on fait pour aborder une oeuvre sans entacher l'oeuvre originale de l'artiste, mais tout en donnant sa patte.

Moi, c'est un truc que j'adore faire, les remixes. Parce que déjà, j'aime écrire tous les jours et écrire de la musique aussi tous les jours, écrire des mots. Et le remix, ça fait partie des exercices que je trouve vraiment fascinants. Donc, j'aime bien qu'on m'apporte des trucs vraiment très différents de ce que je fais, par exemple, aussi. Là, je viens de finir un remix pour un groupe qui s'appelle Les Mamans du Congo où je me suis arraché le peu de cheveux qu'il me restait parce que c'est tellement différent de ce que je propose. Tu vois, c'est de la musique typique du Congo. Et je me suis dit, comment faire rentrer de la cold wave dans la musique traditionnelle congolaise? Et je le vois presque en remix, je le vois comme quelqu'un qui doit faire ses gammes, qui doit pratiquer, pratiquer. Et c'est comme ça que je vois cet exercice.

Est-ce que toi, on t'a déjà remixé, est-ce que c'est quelque chose que tu apprécies ou pas? 

Ouais, j'aime bien quand j'apprécie vraiment des artistes, j'aime bien leur confier mes morceaux pour qu'ils en fassent justement cet exercice et qu'ils arrivent à faire rentrer leur style dans le mien.

Si tu devais me citer tes influences en quelques morceaux, qui t'ont marquée, qui t'ont inspiré?

Morceaux, c'est vachement dur parce qu'évidemment, je pourrais passer la matinée à faire une liste. Mais j'ai quand même envie de parler du groupe Suicide parce que c'est à la fois pour moi le reflet de ce qu'est le post-punk ou l’EBM, donc un truc très répétitif, dans les sonorités aussi, qui peut être vraiment punk ou techno. Donc ça, j'adore. Et puis qui boucle, qui met en transe et qui rend fou avec beaucoup de delay. J'adore le delay. Donc je mettrais Suicide. J'aime beaucoup DAF aussi. Et puis là, j’en parlais avant, un groupe qui s'appelle Ichbin, qui est un groupe de l'Est, avec des paroles complètement dadaïstes et que j'apprécie vachement. Pour ce qui est des morceaux fondateurs, je pourrais mettre aussi le Stabat Mater de Pergolese. On fait des grands écarts. (rires)

La nouvelle compilation RainboWarrior va sortir. J'ai écouté 'Wasted Time' de Jennifer Touch. Et je voulais savoir, cette nouvelle compile, est-ce que tu peux nous en parler ? Elle va sortir au complet, je crois, en avril, c'est ça ? Et avec cette compile, quels sont tes projets futurs ? Peut-être l'album de Kompromat ? Comment ça se passe ? 

La compile, j'ai eu envie de... pour ce qu'on disait, le label m'aide à fédérer, à être avec des gens que j'apprécie, pour le travail, les manières de penser, beaucoup de gens queer, beaucoup de gens féministes. Donc ça me permet de m'entourer d'un vis-à-vis d'artiste qui est hyper excitant. Je trouve ça assez génial et ça me permet de rencontrer plein de monde. Le fait de demander à des gens, « tu veux pas faire un track original ? » Ça me permet de les rencontrer, de jouer avec eux après. Donc je trouve que ça, ça me maintient en vie, c'est une vraie flamme. C'est pour ça qu'on a fait la compile avec la Maison Warrior. Pour rencontrer du monde, pour pouvoir jouer ensemble, pour toutes ces choses là. Et pour Kompromat, là on est en plein dedans. C'est assez cool de retrouver Vitalic et de se remettre au travail. C'est un album qui va être assez différent du premier. Déjà de par la langue, parce que je chante beaucoup en anglais et en français. 

La Compilation RainboWarriors Vol 1
Donc l'allemand c'est fini? 

C'est fini, je suis passée à l'anglais. Mais aussi parce que j'ai beaucoup cette influence. D'avoir écouté beaucoup Les Liaisons Dangereuses ou Rue Oberkampf. Qui sont des groupes où on change de langue sans arrêt. Pour moi c'est aussi hyper important de pouvoir être polyglotte. Et de changer de langue suivant les choses que t'as à dire. On se retrouve avec Vitalic et là on vient de finir un morceau avec Christine And The Queen, donc on est hyper contents. 

Un premier single, peut-être une date ? 

Je ne sais pas quand ça va sortir, ça c'est Maud (Manageuse) qui sait tout ça. Moi je fais des tubes et après elle s'organise pour savoir quand ça sort. 

Je voulais te demander pour terminer l’interview. Est ce qu’il y a un registre musical encore inexploré qui te tente à l'avenir ? 

J'ai beaucoup été dans les musiques classiques ou baroques. J'avais fait cette émission qui s'appelle Variations sur France 2. C'était une rencontre avec un chanteur lyrique. On avait repris Schubert. J'avais réinterprété tout Schubert. Là on vient de me proposer ça avec La Philharmonie. Je ne sais plus quel musicien classique aussi. C'est un travail que j'aime bien faire, d'aller dans des zones où je ne suis pas forcément confortable. Et dans les styles que je n'ai pas encore abordés. On peut dire qu'il y a quand même le reggae qui est ma grande inconnue. Peut-être qu'il viendra avant de mourir, je ne suis pas sûre… (rires)

Victor Frances

"RainboWarriors Vol 1" sort le 26 avril

Lien vers les billets pour la tournée RainboWarriors