“No Standing, Just Dancing”: telle était la phrase qui a caractérisé pendant de longues années le mythique club Concrete, fermé depuis 2019. Aujourd’hui, son ex-programmateur Brice Coudert et le co-programmateur du festival Positive Education Antoine Hernandez comptent bien redonner à la nuit ses lettres de noblesse avec l’ouverture du nouveau club: Essaim.
Situé entre les murs de l’ancien Carbone et du Bisous Club dans le 10ème arrondissement, Essaim affiche déjà une programmation pointue et rare avec la venue de nombreux artistes, entre headliner et figures émergentes. Revendiquant fièrement sa jauge limitée de 400 personnes et avec la volonté de retrouver une proximité essentielle entre l’artiste et le public, Essaim entends bien explorer la musique électronique dans ses formes les plus pures, à travers plusieurs entités allant des soirées techno du vendredi à celles plus breakés du samedi … Rendez-vous demain soir pour l’ouverture.
Quelle est la genèse du projet Essaim ?
Brice: Le projet est né il y a très longtemps. Depuis le Covid et la fin de Concrete et Dehors Brut en 2019, je recherchais un lieu pour créer un nouveau club avec mes associés, dont l’ancien directeur technique de Concrete. Avec Antoine, ça fait aussi un petit moment qu’on parle de bosser ensemble, on se connaît depuis super longtemps. On a des affinités amicales mais aussi musicales, on a la même manière de voir les choses. Ça fait longtemps que ça mûrit dans nos têtes. Le lieu où on va faire le club, l’ancien Carbone et Bisous Club, ça s'est décidé très tard, ça s'est décidé au mois de mars/avril. Ensuite, tout a été très vite.
Pourquoi ce nom?
Brice: On voulait que ça sous-entende des choses. Avant on avait Concrete, le nom était lié à la matière du béton. On voulait surtout trouver un nom qui s’oppose au nom de club qui font référence à un lieu, comme Le Hangar, Le Warehouse. Essaim, ça représente quelque chose d’organique et de vivant qui crée quelque chose de beau et de bon: le miel.
Antoine: Avec Essaim, on a voulu faire référence à une communauté. Il y a cette idée de rassembler.
Brice, tu avais déjà exploré les murs de ce lieu à travers tes soirées Antiverse au Carbone. Qu’est ce qui vous a plu dans cet endroit ?
Antoine: J’'étais venu une seule fois au Carbone pour une Antiverse et le lieu m’avait directement saisi. C'était exactement ce que j’attendais d’un club: une boîte en béton avec un système son trop bien, des lights au top.
Brice: Quand on a créé Concrete à l’époque , il y avait vraiment cette ambition de démocratiser la musique électronique, de séduire un nouveau public … Aujourd’hui le public est limite trop gros. C’est énorme et ça peut même dégénérer. Quand on voit sur Techno Flex Détente des mecs d'extrême droite qui se mêlent à notre public c’est un peu bizarre. Aujourd’hui le besoin n’est plus de démocratiser cette musique, mais d’offrir des espaces pour un public qui veut autre chose que des grands rassemblements qui ameutent beaucoup de monde. Quelque chose d’un peu plus pointu. Et l’espace de Essaim va nous permettre ça justement.
Les points forts de ce lieu?
Brice: On est en plein Paris entre Gare du Nord et Gare de l’Est, c’est un avantage parce que c’est central pour tout le monde. Il y a cette jauge de 400 personnes qui peut permettre de faire quelque chose de bien: tu peux sélectionner un bon public, tu n’es pas obligé de booker des artistes énormes pour faire venir les gens, tu peux faire venir des gens qui sont attirés par des musiques un peu plus pointues. En terme de staff tu ne te retrouves pas avec des armées d’agent de sécus , donc tu peux mieux les manager, mieux les driver. C’est une atmosphère un peu plus cool.
Est ce qu’on va retrouver un peu de Concrète dans Essaim ? Si oui, à quel niveau ?
Brice: Bah déjà, il y aura nous ! On veut surtout que ces lieux soient adaptés à notre façon de faire la fête. Il y avait un style de reconnaissance qu’on avait développé avec Concrete, c'était le DJ booth au niveau du sol avec une proximité entre l’artiste et le public. À Essaim aussi, on veut que l’artiste puisse regarder les gens dans les yeux et qu’il ne les surplombent pas. Ça change complètement la vibe. Le fait que le public entoure un peu le DJ booth, ça change aussi de cette césure que tu peux avoir dans les clubs old school avec le DJ sur une scène et les gens au sol. On avait cette phrase à Concrete “No Standing Just Dancing”, et c’est vraiment ça: créer quelque chose qui soit dédié à écouter de la musique, à danser et qui soit vraiment agréable.
Est ce qu’il était urgent de retrouver un club comme Essaim à Paris ?
Antoine: Oui, c'était hyper important. À Paris, on se retrouve avec des grosses productions: c’est cool d’y aller mais t’es obligé de faire des line-up hyper gros. Et en vrai cette proximité artiste-public c’est un truc important qui manquait à Paris.
Brice: Cette discussion de besoin d’un plus petit club à Paris revenait souvent. C’est quelque chose qui manque. Ces dernières années, on partait vraiment sur des grands espaces. Et qui dit grand, dit la programmation qui va avec et qui dit public non filtré. En ce moment il y a une vraie vibe dans le monde: c’est l’apparition de minis-clubs un peu partout. À Londres, il y a Fold, qui est maintenant le club de référence dont j'entends plus parler que fabric. Il y un club qui a ouvert l’année dernière en Allemagne qui s’appelle Openground, dont tout le monde parle. C’est le même type que Essaim. Ça va avec la période. Il y a un moment, on voulait montrer qu’on était nombreux à écouter cette musique là , et on voulait faire des gros espaces. Maintenant on a envie de les réduire, de se retrouver entre personnes qui ont des goûts un peu plus aventureux et avec une meilleure connaissance des codes. On ne veut pas être élitiste, on ne veut pas fermer la porte à un certain public. On veut que les gens comprennent d’abord les règles de la club culture, avant de venir dans ce genre d’espaces. Et il y a plein de moyens de le faire.
Comment donner les outils aux gens qui n’ont pas forcément cette compréhension de la club culture?
Brice: Au début, l’apprentissage ne va pas se faire dans un club de 400 personnes. Je pense qu’il y a d’autres étapes. On juge que le projet Essaim est plus un projet de seconde étape. Et la programmation, de toute façon, va faire le tri sur le public. On sait très bien que les kids qui commencent à écouter de la musique électronique ils vont avoir envie de choses un peu plus tape à l’oeil, plus “tape à l’oreille”, et surtout plus efficace que ce qu’on fait chez nous. Le respect de la club culture, ça se sent à la porte. On a un vrai travail avec la physio qui connaît bien la scène et avec qui on va avoir des réflexions régulièrement. On compte aussi parler sur les réseaux, communiquer avec les gens, expliquer pourquoi la porte est plus dure pour certains …On ne va pas fermer la porte bêtement à une typologie de personne. Il n’y aura pas de critères de vêtements, de physique … C’est plus une question d’attitude.
Vous annonciez il y a quelques jours un tarif fixe de 20 €, préventes et sur place confondus, pour quasiment tous les events. Pourquoi?
Brice : On a voulu sortir un peu des modèles de marketing et de ce système de préventes. On juge que toutes les personnes qui vont être dans le club vont avoir accès à la même musique, donc tout le monde est censé payer la même chose. Ça simplifie les messages. J’ai répondu à un commentaire sur Instagram qui disait que 20 € c'était cher, alors que non finalement. Beaucoup de clubs proposent des tarifs à 12 €, mais il y a 5 tickets en préventes à 12 €. La majorité de la jauge se vend à la fin à 22-24 €. On préfère dire dès le début que tous nos tickets sont à 20€ et avoir cette transparence avec le public. Le public sera face à un tarif unique quel que soit l’artiste qui est derrière. Après, c’est à nous de faire notre sauce et aux artistes d'accepter de rentrer dans ce cadre là. En général il y en a qui acceptent et il y en a qui n'acceptent pas. C’est le jeu.
Brice, ça te fait quoi de reprendre la DA d’un club?
Brice: C’est le bonheur, j’attendais ça depuis le Covid. J’organise des évènements: Antiverse, Mutant … mais il y n’y a rien de comparable à avoir un club où tu fais des programmations tous les week-ends. Ça me permet de raconter une histoire au public. Il y a beaucoup de clubs qui travaillent avec différents promoteurs, qui vont faire la programmation à chaque fois. Nous, on fait la programmation nous-mêmes. On veut vraiment construire quelque chose et avoir un fil rouge. On peut décider du jour au lendemain de mettre en lumière un nouveau genre et c’est super. La chose qui est différente aussi, c’est que je fais la programmation avec Antoine. C’est cool de pouvoir trouver des consensus sur des artistes. on a les mêmes goûts mais on se complète aussi, donc c’est très intéressant parce que pendant des années je l’ai fait tout seul la programmation. C’est plus ludique.
Antoine, comment ton expérience de programmateur de festival va t’elle s’adapter à celle de programmateur de club?
Antoine: Programmer pour un festival est quelque chose de génial car tu proposes une expérience sur plusieurs jours et plusieurs scènes, mais une seule fois dans l’année. Sur la programmation d’un club, si un.e artiste n’est pas dispo ou ne correspond pas la vibe qu’on veut donner avec Brice à un de nos events, il suffit de checker les semaines qui suivent. C’est comme créer une programmation de festival mais tout le long de l’année.
Comment avez-vous construit cette prog’ à deux?
Antoine: On a défini les jours, les différentes entités qu’on va retrouver dans le club. Les vendredis sont plus techno, les samedis plus autour de la bass expérimentale…
Brice: le premier truc qu’on s’est dit c’est : “on ne va pas faire de la musique qu’on aime pas.” La deuxième question qu’on s’est posée c’est : quels sont les genres qu’on a envie de traiter dans le club? On a décidé des genres au sens large, qui seraient les points de départ puis on a créé des sortes de tiroirs qui sont les vendredi avec Tribalism, des soirées breakées avec Reshape, mais aussi la possibilité de faire des line-up qui sont complètement ouverts. Maintenant la programmation des premiers mois annoncée, on va pouvoir faire line-up par line-up et rentrer un peu plus dans la réflexion, aller encore plus loin dans l'expérimentation.
On remarque beaucoup de “Première en France” dans la prog’ de novembre et décembre. Est ce que vous avez le sentiment que la nuit parisienne a besoin de renouvellement dans ses line-up? Est-ce qu’on voit toujours les mêmes têtes?
Brice: Le club de 400 personnes permet justement d’inviter des artistes qu’on voit rarement ou qu’on a jamais vu. Ce qui est marrant, c’est que ce sont souvent ces artistes qui ramènent du monde parce qu'ils ont une fan base à Paris qui n’attend qu'une chose: que cet artiste vienne jouer. Par exemple, on va faire Nawaz pour la première fois à Paris en novembre, pour beaucoup de monde c’est personne, mais on sait qu’il y a facile 200 fans qui vont venir à Paris pour venir le voir. C’est super important de voir de nouvelles têtes, et ça manquait.
Le 10 novembre prochain est prévu un format étendu de 16h à 6h30. Qu’est qui vous plaît dans ce format par rapport au classique 00:00h-07:00h?
Brice: On va d’abord voir si le lieu se prête à des formats longs: ça va être une première. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne veut pas limiter un club à la nuit. On veut l’exploiter sur tous les créneaux possibles. Quand je dis tous les créneaux, ça peut être dans la matinée, les dimanches aprèm’, les soirs de semaine… On va expérimenter.
Essaim, vers une fête plus safe?
Brice: Ça va encore une fois avec cette idée de petit club et c’est pour ça qu’on est content de cette jauge limitée. On pense que c’est beaucoup plus faisable de créer une atmosphère safe dans un petit club parce qu'il y a moins de monde à gérer. Tu peux avoir un staff vraiment formé là- dessus. On voulait faire un club fort en termes de musique et de programmation, mais aussi en termes de confort et de safety. C’est au centre de nos préoccupations.
La meilleure raison de venir faire la fête à Essaim ?
Antoine: C’est un peu cliché, mais être curieux! Il y a pas mal de choses qu’on va programmer qui seront des premières en France, ou d’autres profils que les gens ne connaissent pas forcément.
Brice: On veut que les gens nous fassent confiance. Qu'ils soient curieux, qu’ils viennent et si ça leur plait pas tant pis. Mais si ça leur plaît, qu’ils rentrent dans le jeu et qu’ils acceptent de venir chez nous sans regarder la programmation. Je pense que c’est comme ça qu’ils pourront découvrir des choses. On prépare vraiment de très belles choses. Même nous, on se pose la question de comment on va faire pour ne pas venir tous les week-ends …
Entretien par Adèle Chaumette