Peut-on réduire l’empreinte environnementale du monde de la nuit ? Les acteurs·rices se mobilisent

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Mixer à Londres le vendredi, à Berlin le samedi et à Milan le dimanche, voici le week-end type d’un grand nombre d’artistes du monde de la nuit. Lorsque l’on s’intéresse aux calendriers des tournées de DJs, on constate très vite qu’électro ne rime pas toujours avec écolo.

Pour se donner une idée plus précise de l’impact environnemental d’un artiste de la scène électronique, le collectif Clean Scene, publiait en 2021 ce rapport ironiquement intitulé « Last Night A DJ Took A Flight ». A partir des données de Resident Advisor, l’étude dévoilait qu’en 2019 un DJ émettait en moyenne 35 tonnes de CO² par an. À titre de comparaison, l’empreinte carbone des Français serait d'environ 8 tonnes par an. Un constat alarmant que beaucoup d’acteurs du milieu de la nuit souhaiteraient voir évoluer.

Voyager pour percer

« Si tu veux avoir une carrière, tu n'as pas le choix que d'aller là où ton booker t’envoie » admet Perrine alias La Fraicheur. Basée à Barcelone, elle dénonce le manque de considération pour la planète quand il s’agit des tournées de DJs. « Aujourd’hui, il faut absolument voyager pour percer : être vu dans la salle de bain la plus connue du monde (HÖR radio ndlr), avoir des dates en Asie ou en Amérique du Sud. À aucun moment tu ne te poses la question de ton bilan carbone» poursuit-elle.

Une analyse largement partagée par Deborah Aime La Bagarre, un autre DJ français qui connait bien le sujet : « C'est très valorisé aussi par la scène locale de tourner partout dans le monde et montrer que ton projet intéresse de Séoul à Rio». Depuis 2019, il a décidé d’arrêter tout voyage en avion. Un choix radical, mais selon lui, à portée de mains pour les artistes français, principalement parisiens. « Depuis Paris, tu peux rejoindre Londres en 2h, Bruxelles en 1h30, Amsterdam en 3h40 ou encore Berlin en 8h. C'est sûrement la ville au monde la mieux connectée avec de grandes capitales de la fête. Mais évidemment, c'est à chaque artiste de prendre en compte ses besoins et sa situation personnelle vis-à-vis de cette question, il faut apporter de la nuance".


Pendant leurs tournées, nombreux sont les DJs qui multiplient les stories Instagram à bord d’avions ou dans de grands hôtels à l’étranger. Une vie de rêve, pourrait-on naïvement penser mais selon La Fraicheur, la réalité est bien différente : « le miroir déformant des réseaux sociaux nous oblige à toujours montrer une vie exceptionnelle. Mais à part les 2 heures durant lesquelles tu mixes, c'est pas glamour de passer tes week-ends seule dans des halls d’aéroports et des chambres d'hôtel ».

Si les artistes choisissent d’avantage l’avion pour leurs tournées, c’est aussi en raison de son prix très attractif. Selon un rapport publié en juillet dernier par l’ONG Greenpeace, le train est deux fois plus cher que son concurrent l’avion pour les trajets en Europe. Aux yeux de Perrine, cet écart de prix dissuaderait de nombreux artistes d’opter pour le rail. « Beaucoup de festivals ont refusé d’augmenter mon cachet pour financer un billet de TGV ! Tant que les organisateurs ne prendront pas en charge ce coût, aucun DJ ne choisira le train, il faut être honnête… » déplore-t-elle.

Avenir plus responsable


De ce manque de coopérations entre artistes, bookers et programmateurs se dégagent toutefois des initiatives qui laissent entrevoir un avenir plus responsable pour l’industrie.

L’agence Mama Loves Ya lancée en 2020 par la DJ française Anetha s’engage par exemple à booker ses artistes de manière plus intelligente, et ainsi éviter les allers-retours en avion dans le même week-end. De son côté, le collectif GOGO GREEN innove en proposant une tournée exclusivement à vélo. Toutefois, prendre le virage écologique n’a rien d’évident pour des événements qui accueillent des dizaines de milliers de festivaliers. Pour les aider, les festivals peuvent notamment compter sur l’expertise du Collectif des festival. Depuis plus de 15 ans, ce collectif suit les festivals et manifestations culturelles (33 au total) dans leurs démarches de transition écologique et sociale.

Rudy Guilhem-Ducléon, membre depuis 4 ans, est chargé de les accompagner : « Certains nous sollicitent pour faciliter le raccordement au réseau d'électricité verte, d’autres pour réduire les déchets. On travail également sur les déplacements des publics qui ont leur part de responsabilité dans le bilan écolo de ces événements ». Le public, un acteur souvent oublié mais avec une empreinte environnementale très importante. A titre d’exemple, durant la dernière édition du festival Astropolis à Brest, la minorité des festivaliers venus en avion (seulement 1% du public) ont été responsable de 68 % des émissions de CO2 de l’événement : « C’est considérable et nous pouvons l’éviter en mettant en place des alternatives comme des bus ou du covoiturage qui consomme 6 fois moins» concède-t-il.


Expert sur les questions écologiques, Rudy s’occupe aussi de la programmation de l’Osmose Festival à Bordeaux. Un festival qui met principalement à l’honneur les talents locaux mais aussi quelques artistes étrangers. Il se rappelle par exemple d’avoir convaincu un DJ hollandais de venir au festival en TGV depuis Amsterdam. Environ 7h de trajet et un billet 4 fois plus cher que l’avion. Qu’importe, il n’a pas hésité à débloquer une enveloppe supplémentaire afin que l’artiste emprunte le rail. « Quand on pose la question des déplacements de l’artiste, c’est le triangle de l’inaction, on se renvoie tous la balle, mais là tout le monde avait joué le jeu » analyse Rudy.  


Un exemple qui pourrait bien servir de modèle pour d’autres événements selon lui: « Les festivals sold-out en quelques minutes peuvent se permettre d'augmenter le prix du billet pour rendre l'événement plus durable ». Rudy est convaincu qu’au delà du climat, le modèle même des festivals est à revoir : « Il y a ce schéma un peu dépassé qui consiste uniquement à miser sur les têtes d’affiche alors qu’à mon sens, le public est d’avantage à la recherche d’un événement local et à taille humaine ».

Une culture transformée en industrie  

Perrine est du même avis. Pour elle, la réussite d’un événement ne tient pas seulement aux artistes, aussi gros soient-ils : « C’est un mécanisme super paresseux des programmateurs de se dire que plus il y aura des gros noms plus on vendra de tickets ». La recette pour remplir un festival ne tiendrait donc pas uniquement à la présence de têtes d’affiche?

D’après le baromètre des usages de la musique en France, les deux principales motivations du public pour participer à un festival sont en effet la programmation mais également le prix du ticket. Parmi les autres raisons qui motivent le public à venir, on retrouve « l’envie de faire la fête avec ses proches » et « la proximité géographique de l’événement ».

Des résultats qui ne surprennent pas le DJ parisien Deborah Aime La Bagarre : « Je constate que les festivals plus intimes, parfois "amateurs" et/ou en partie fait maison, ont aussi la côte par rapport à d'immenses rassemblements à base de néons et de lance-flammes…»

Perrine regrette que les valeurs initiales de la culture techno soient tombées dans l’oubli: « Depuis sa naissance, la techno était une culture de rébellion et de résistance au modèle établi du capitalisme, 20 ans plus tard, on a complètement oublié ça. » À Barcelone, La Fraicheur organise et mixe lors de soirées queer réunissant quelques 500 personnes. Des événements intimistes et peu coûteux, auxquels Perrine reste attachée: « Il y aura toujours des gens pour faire des raves et des free parties perdues dans la forêt, c’est cette culture que je valorise et pas l'industrie actuelle dont le but est de faire du cash ».

Par une métaphore ferroviaire, Rudy Guilhem-Ducléon conclut sur une note d’espoir: « Je suis certain que nous allons dans le bon sens, les festivals les plus engagés sont les locomotives des festivals, les autres suivront naturellement ».