
Il faut dire que la ville a beaucoup changé. Ancien bastion industriel et ouvrier, Pantin a su se renouveler et réhabiliter son patrimoine pour devenir un territoire attractif pour les métiers de la mode et de la création, mais aussi un haut lieu de la scène musicale et artistique. Et ce, sans subir une gentrification incontrôlée qui gâcherait cette belle transformation. Le fruit d’une politique de la ville engagée et d’acteurs culturels visionnaires.
De ville post industrielle à hub culturel incontournable
Ces dernières années, les lieux culturels se sont multipliés à Pantin. Plusieurs clubs emblématiques de la scène électronique se sont progressivement installés dans la ville et en bordure, de Mia Mao au Nexus en passant par le Dock B. La Cité Fertile, le Barboteur ou encore le Bar Gallia sont eux aussi des lieux qui participent au nouveau foisonnement de la vie nocturne et musicale. Et ce, sans oublier les autres acteurs culturels de la ville comme le Théâtre Au Fil de l’Eau ou le Centre National de la Danse.

“Du passé industriel, très fortement visible aux abords du canal de l'Ourcq, une transformation s'est opérée”, témoigne Ian Oxley, co-fondateur du Barboteur. “Il y a un microcosme d'acteurs culturels qui s'est implanté sur ce territoire et qui accompagne sa mutation”.
La friche de La Cité Fertile, ancienne gare de marchandises de la SNCF a par exemple été réinvestie en 2018 pour devenir un tiers-lieu accueillant une vie culturelle foisonnante. Le club Mia Mao, récemment installé au cœur d’une halle industrielle désaffectée, témoigne lui aussi de la métamorphose d’une ville jadis ouvrière.

Il faut remonter plus de 20 ans en arrière pour prendre la mesure des changements à l'œuvre au cœur de Pantin, lentement passée d’une ville post-industrielle à un hotspot créatif et culturel.
Une diversification de l’activité économique et du paysage urbain
La ville était autrefois un pôle industriel majeur en Île-de-France, marqué par le textile, la métallurgie et une activité de fret ferroviaire importante, avant d’être frappée de plein fouet par la désindustrialisation dans les années 1970.

Installé au poste de maire de Pantin depuis 2001, Bertrand Kern revendique volontiers les transformations de la ville à l’héritage ouvrier et industriel par un volontarisme en direction des entreprises créatives, en parallèle d’une politique éminemment sociale.
La métamorphose a été entérinée au début de son premier mandat, par la réhabilitation des Grands Moulins, ancienne minoterie transformée en bureaux, qui favorisera ensuite l’installation dans la ville des locaux de Chanel et d’Hermès quelques années plus tard.
En 2016, la rénovation par l’agence de pub BETC des Magasins Généraux, bâtiment industriel des années 30 entre temps transformé en temple du graffiti, va durablement ancrer Pantin comme un haut lieu des métiers de la mode et de la création, aux portes de Paris. “Rémi Babinet, président fondateur des Magasins Généraux, était persuadé que l'avenir de Paris se passait au-delà du périph”, se souvient Émeric Descroix, responsable de la communication du lieu.

La mixité sociale au coeur de la politique de la ville
Face à ces mutations, la ville aurait-elle subi une gentrification au fil du temps ? “Je n’appellerais pas ça comme ça”, répond Charline Nicolas, adjointe au maire en charge de la culture et du patrimoine.
Plusieurs leviers ont été déployés pour assurer une mixité sociale au cœur du territoire, comme l’encadrement des loyers, ou “des objectifs de logements sociaux à plus de 40%”, explique-t-elle. En parallèle, la ville est entièrement reliée grâce au RER et la ligne 5 du métro, ce qui assure une certaine attractivité pour les populations parisiennes plus aisées.
Pantin a donc vu une population socialement plutôt équilibrée se former, entre catégories populaires héritées du passé industriel, et classes moyennes aisées issues des milieux créatifs. “Un pari de la ville complètement assumé”, selon l’adjointe au maire.

Une offre culturelle inclusive et ancrée localement
Les Magasins Généraux incarnent à eux seuls le projet culturel de la ville. En dessous des locaux de BETC, l’ancien bâtiment de stockage est devenu un lieu culturel hybride accueillant expositions, conférences, débats, concerts ou encore plus récemment soirées club.
Le lieu propose également de nombreux projets d’action culturelle et événements à destination des habitants, à la fois in situ et hors-les-murs. “Un élément qui est important pour nous,” explique Émeric Descroix, “c’est de ne pas être un vaisseau qui aurait été posé là, déployant une programmation hors sol seulement pour un public de Parisiens et de Parisiennes amateurs et amatrices d’art contemporain ne s'intéressant pas du tout à ce qui fait vibrer le territoire.”
Le pari d’une programmation pluridisciplinaire, entièrement gratuite et ouverte à tous, qui a permis d’accueillir un public très mixte, à 40% originaire de Seine-Saint-Denis. Une diversité recherchée par le lieu. “Ça nous va très bien d’avoir des publics si variés”, défend-t-il. “On aime bien varier les approches, faire se rencontrer des publics qui n’ont pas forcément l’occasion de pouvoir se croiser”.
Toutefois, si la mixité culturelle est “toujours en construction”, nuance Ian Oxley, il ne faut pas “se voiler la face”. “Nos lieux doivent continuer à travailler leur intégration sur le territoire, pour parler à l’ensemble des publics”, rappelle le co-fondateur du Barboteur, qui accueille une programmation musicale éclectique allant de concerts acoustiques de world music à des DJ sets house.

Une ville en soutien aux initiatives culturelles
La ville de Pantin s’est très vite posée en soutien aux acteurs culturels, à travers sa logistique, sa visibilité et ses financements, même si les subventions peuvent vite trouver leurs limites. “Est ce que Pantin dispose des budgets suffisants pour pouvoir accompagner toutes les initiatives ? Clairement non. Mais ça, c'est le cas de toutes les mairies en France”, confirme Ian Oxley. “La vie culturelle est tellement riche, qu’on ne peut pas tout soutenir financièrement”, argumente Charline Nicolas.
La ville a cependant su faciliter l'accès à l'espace public “pour que l’initiative privée puisse proposer des actions culturelles vers le plus grand nombre”, explique le co-fondateur du Barboteur, qui s’invite chaque dimanche de la saison d’été sur la place de la Pointe, un lieu central de la vie pantinoise juste en face des Magasins Généraux. “On se met en quatre pour essayer d’aider les acteurs à réaliser leurs projets”, affirme Charline Nicolas.
L’adjointe au maire défend aussi une programmation conçue directement par la ville, dans le cadre de leur saison culturelle. “Il y a des villes qui sous-traitent entièrement, nous ça n’est pas le cas”, souligne-t-elle.

Une vie culturelle qui articulée autour du canal de l’Ourcq
Les acteurs culturels s’associent aussi régulièrement pour proposer des programmations conjointes, à l’image du Kilomètre de la Danse, un événement organisé chaque année par le Centre National de la Danse en collaboration avec plusieurs structures culturelles au bord de l’Ourcq et la ville de Pantin. On note aussi le Théâtre Au Fil de l'Eau qui accueille nombre de résidences d'artistes et offre un rayonnement à l’échelle nationale.
Car le rôle du canal n’est pas à négliger pour expliquer le foisonnement culturel pantinois. L’agence BETC, en partenariat avec les Magasins Généraux a par exemple réalisé une carte, “Au Fil De l’Ourcq”, illustrant la cohésion des acteurs culturels au bord du canal, allant de La Villette à Bobigny. “Quasiment tous les 200 mètres [sur les bords de l’Ourcq], il y a un lieu culturel, ou une péniche qui propose une programmation avec des arts vivants et des programmations musicales”, témoigne Émeric Descroix.

“On a voulu montrer que le canal est un axe structurant qui fait fi des limites administratives”, explique-t-il. “Les Magasins Généraux participent à l’énergie de cette nouvelle échelle territoriale : celle d’un Grand Paris qui s’affranchit des frontières urbaines historiques et du périphérique.”
Une attractivité qui peut s’expliquer par la douceur de la vie en bordure des quais. “Paris est une ville où la taille des rues et des avenues est très petite, où on voit très peu le ciel”, explique Ian Oxley. “Quand on arrive à proximité du canal, on trouve vraiment un axe de respiration”.

Aux portes de Paris, Pantin s’est donc métamorphosée en un véritable laboratoire culturel, où patrimoine industriel et effervescence créative cohabitent. Cette dynamique, savamment orchestrée, atteindra-t-elle un point d’équilibre ou annonce-t-elle de nouvelles mutations ? En tout cas, celle-ci mérite amplement son exploration.