La folle histoire de l’IBOAT

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Amarré au bord du Bassin à Flot, l’IBOAT est une salle de concert/club emblématique de la nuit bordelaise, avec une programmation éclectique et effrénée qui fait rayonner la scène électronique locale et internationale. Mais le projet de son équipage va bien au-delà du simple navire.

Tel un phare culturel, le bateau est un acteur indispensable de la vie musicale et artistique de Bordeaux, avec des évènements novateurs aux quatre coins de la ville, des actions culturelles aussi ambitieuses qu’accessibles, sans oublier les festivals uniques qui font vibrer le quartier post-industriel qui l'abrite.

La fête, dans un bateau

Tout commence dans les années 2000. Le ferry La Vendée, anciennement destiné à la traversée vers l’île d’Yeu, est entièrement repensé pour se transformer en club. Les travaux durent près de 5 ans, et l’IBOAT - pour “Intelligent Boat” ouvre en 2011 sur les quais, entièrement repeint en jaune et gris, avec son bord une équipe 100% bordelaise et un ancien capitaine du Batofar, un lieu emblématique de la teuf à Paris.

Un ancien quartier industriel transformé

À son arrivée dans les années 2010, l’IBOAT s'amarre au port des Bassins à Flot, au cœur d’un quartier post-industriel dont la mutation urbaine n’a pas encore véritablement commencé. Ancien point névralgique de l’activité maritime bordelaise au début du XXème siècle, le paysage n’est habillé que de grues de chantier naval et de vieilles infrastructures de métal.

Mais, voyant le potentiel d’une vie culturelle en bordure de la ville, d’autres lieux précurseurs s’installent à la même période comme le spot pluri artistique Les Vivres de l’Art qui réhabilite un ensemble de monuments historiques du 18ème siècle en 2009, ou l’association Le Garage Moderne qui prend possession d’un immense hangar de plus de 2000m2 en 2003.

Puis plus tard, c’est autour d’institutions de s’implanter au bord de la Garonne : la Cité du Vin, le Bassin des Lumières, et le Musée de la Mer Marine, qui créent une forte attractivité en bordure de Bordeaux. Des quartiers résidentiels se créent, le mobilier urbain est progressivement réaménagé.

Un navire en perpétuelle effervescence

Une caractéristique singulière de l’IBOAT, dès ses débuts, c’est son rythme. La cale ne dort quasiment jamais, avec entre 40 et 50 dates par mois entre concerts, clubs et évènements culturels. Un foisonnement qui permet une programmation axée sur l’émergence et l’expérimentation artistique, tout en défendant l’héritage des musiques électroniques.

Précurseur, le lieu a vu défiler des figures comme Anetha ou The Blessed Madonna avant même que leur notoriété explose. Côté concerts aussi, la salle a été visionnaire, en invitant des artistes désormais incontournables comme Parcels ou London Grammar.

Des pointures de la scène électroniques ont aussi joué sur l’ancien ferry, à l’image de Justice, Laurent Garnier ou encore Nina Kraviz, pour ne citer qu’elleux. The Sugarhill Gang, un des groupes mythiques de l’histoire du hip-hop, à l’origine du premier titre de rap enregistré “Rapper's Delight” a même exceptionnellement joué sur le toît de l'embarcation lors d’une fête de la musique déjantée en 2015.

Mais l’IBOAT, loin d’être hors sol, a aussi à cœur de faire vivre la scène locale, en donnant carte blanche aux collectifs bordelais sur près d’un tiers des évènements, comme Amplitudes Radio, Les Viatiques, Tape ou Bruit Rose. Mais le bateau n’est pas “une coquille vide”, et veille tout de même à assurer une certaine “exigence” musicale, comme le rappelle Benoît, le directeur artistique du lieu.

Un phare culturel qui illumine au-delà du bateau

L’équipage de l’IBOAT ne s’est pas cantonné à son seul navire. L’aventure de l’association va bien au-delà, avec des évènements et actions culturelles dans de nombreux lieux bordelais, qui ont toujours à cœur de jouer avec les espaces et leur offrir un nouvel usage.

Des projets qui permettent l’organisation d’évènements de plus grande envergure, avec des jauges dédoublées, des scénographies plus ambitieuses et des têtes d’affiches d’exception.

Le CAPC, l’un des plus anciens musées d’art contemporain a d’abord été investi à de nombreuses reprises lors de soirées, une première fois avec l’artiste Alva Noto entre art contemporaine et musique expérimentale, ou plus récemment pour le 50ème anniversaire du lieu avec le producteur techno Mac Declos.

À la Basilique de la ville a aussi été installé le live de Robin Fox, toujours au croisement entre musique expérimentale et scénographie immersive composée de lasers. C’est ensuite à la Base sous-marine qu’est organisée une exposition avec 1024 architecture, le studio à l’origine des Square Cubes d’Etienne de Crécy. Une installation magistrale qui se retrouvera ensuite au cœur de la patinoire Meriadek.

Si ce genre d’hybridations peut sembler banal aujourd’hui, l’IBOAT a pourtant été précurseur en étant un des premiers opérateurs culturels à organiser des évènements de musique électronique dans des lieux atypiques et avec une scénographie immersive.

Des festivals ont aussi été organisés par le lieu, à l’image d’Ahoy ! qui s’installait dans différents spots du Bassin à Flots et de la Base Sous-Marine, Hors Bord, dédié aux musiques électroniques ou Rêve de Jour, projet à l’esprit utopique qui a investi le parvis des Archives ou celui de la MECA.

Cap sur l’inattendu

Au-delà de sa programmation classique, le projet de l’IBOAT est aussi axé autour de la vie culturelle locale, en offrant des manières novatrices de faire vivre la musique et les arts numériques.

Le premier projet d’hybridation aura été l’installation d’une bibliothèque éphémère, décalée et expérimentale au sein du bateau, en partenariat avec la ville de Bordeaux : le Bibliobato. Une initiative avec en toile de fond la volonté de « créer les conditions d'un autre rapport à la culture, détendu et convivial, où l'écran a une large place ». Car, loin de les invisibiliser, les jeux vidéo, par exemple, sont les bienvenus au cœur de cette installation.

En 2018, l’association, comme un grand enfant fasciné par les engins motorisés, se dote d’un nouveau véhicule. Un bus à deux étages tout droit venu de Liverpool entièrement réhabilité pour accueillir des animations de sensibilisation et d’initiations destinées aux enfants de quartiers prioritaires en région bordelaise. Des ateliers qui se terminaient autour d’un sound system, où les ados improvisaient des freestyles au micro.

Enfin, plus récemment, le bateau a aménagé un bal forain des années 60 sur le quai, pour revenir à une programmation décalée et atypique qui a fait l’empreinte du “navire de curiosités” qu’est l’IBOAT. Un nouveau lieu qui met l’accent sur les actions à destination des enfants et des familles, offre une place aux associations, aux cabarets, aux jeunes créateur.ice.s, aux illustrateur.ice.s, ou encore aux plasticien.ne.s.

Tous ces projets décalés trouvent leur place dans le “Blonde Vénus”, en référence au film américain éponyme sorti en 1932, mettant en scène Marlène Dietrich en ancienne danseuse de cabaret.

Les eaux troubles du Covid-19

En 2019, l’IBOAT va encaisser deux épisodes qui vont créer des difficultés financières importantes. La mise en cale sèche du bateau - une procédure obligatoire à intervalles réguliers - durant plusieurs semaines, puis la fermeture de celui-ci en raison de la pandémie de Covid-19, va durablement endetter le club, qui en viendra à se placer en redressement judiciaire.

Aujourd’hui, si le bateau sort la tête de l’eau, il reste - comme nombre de lieux culturels - dans une situation financière précaire.