Il y a environ un mois de cela, nous nous rendions à Bruxelles à l’occasion de la troisième édition du Listen Festival : ambitieux nouveau rendez-vous des musiques électroniques de tous horizons installé au cœur de la capitale de l’Europe.
L’année dernière, le Listen Festival, « jeune pousse » dans le paysage festivalier franco-flamand, fût pour moi l’un des moments marquants d’une année 2017 un brin morose. Un lieu atypique, le Square Brussels Meeting Centre et ses baies vitrées imposantes ayant comme seul vis-à-vis les lumières du centre-ville, une bande originale impeccablement sélectionnée par des DJs réputés comme Antal, Pender Street Steppers, Jovonn ou Kai Alcé et suffisamment de potos mélomanes lillois(es) pour remplir un car… Cet alignement rare des planètes nous conduira presque prématurément sur le retour, à battre les pavés des rues encore somnolentes de Bruxelles, tenus éveillés par une insatiable soif de fête en digne « hédoniste-du-dimanche » partis pèleriner chez leurs voisins belges… Autant dire que nos attentes étaient élevées à l’approche de cette nouvelle édition. Peut-être trop ?
Bruxelles j’arrive
Après une édition 2017 avoisinant les 15000 personnes, le Listen Festival ajoutait cette année de nouvelles cordes à son arc pour atteindre son objectif de « grand rendez-vous annuel des musiques électroniques » : un jour supplémentaire, l’appropriation d’un nouveau lieu, plusieurs soirées en simultanées… un développement rendu possible grâce à une équipe organisatrice rodée aux métiers de l’événementiel mais aussi par l’intermédiaire d’une longue liste de partenaires institutionnels, commerciaux et médias derrière l’initiative.
L’épicentre du festival se trouvait cette année à deux pas de la Grand Place dans la galerie Horta. Restaurée en 2009 et dessinée par un architecte qui lui donnera son nom, cette galerie commerciale à l’histoire houleuse faisait jusqu’alors principalement office de passage souterrain entre le centre de Bruxelles et la gare centrale.
Galerie Horta et C12
L’endroit comptait trois scènes dispatchées dans différents espaces : une première au cœur de la galerie où se logeaient les têtes d’affiches, une seconde au C12, excitant club temporaire géré par Deep In House et une dernière salle plus petite pour les groupes et DJs hors des sentiers battus. Chacune d’entre-elles étaient pour l’occasion habillées de plateaux lumières parfois dignes des clubs de l’île blanche assurés par de l’équipement dernier cri. Un site atypique donc auquel on peut toutefois reprocher de devenir rapidement étouffant car peu adapté à recevoir des foules aussi nombreuses entre ses murs. Le personnel du vestiaire en fait probablement encore des cauchemars.
La galerie Horta était loin cependant d’être le seul établissement de Bruxelles investi à l’occasion du festival. Le Listen Festival ouvrait cette année le bal dans l’un des centres culturels emblématiques de Bruxelles. Ancien bâtiment de radio et de télédiffusion nationale au bord des étangs d’Ixelles, Flagey accueillait un plateau artistique axé sur le live d’une qualité à l’image de ses curateurs Stroom & Crevette Records.
Des lives rares, la crème des locaux et des têtes d’affiche
Le hall et la salle de concert classieuse du « paquebot » recevaient pour l’occasion une population majoritairement néerlandophone plutôt BCBG. Dans cette salle aux qualités acoustiques uniques, d’ordinaire rodée à la musique classique ou au jazz, le duo belge Hiele & Milan W. y jouait une musique bruitiste caverneuse suivi du live onirique et propice à la rêverie de Jonny Nash et Suzanne Kraft, dont les nombreuses collaborations sur Melody As Truth, font le bonheur des songeurs et autres romantiques en quête de paix intérieure. La soirée se poursuit dans le hall d’entrée avec l’excellent live de The Mystic Jungle Tribe et se clôture avec le DJ set de Vitesse. Le trio Napolitain armé de synthétiseurs, d’une drum-machine et d’une Fender Jazz Bass mènera progressivement le public par le bout du nez avec ses sonorités jazz-funk cosmiques et ultra-groovy.
Le vendredi, surprise lorsque nous arrivons : la galerie Horta est déjà noire de monde, il est à peine 23h. Il faut dire que le plateau DJs de ce soir-là est particulièrement solide. Au C12, Ge-ology prend la relève sur un set honnête mais sans surprise de Floating Points. Il jouera sur une vibe House « à l’américaine » peuplée de références old-school de Chicago et du versant « dub » de New-York. Plus tard dans la soirée, Antal, présent pour la seconde année consécutive, régalera le public de morceaux disco, funk sud-africain… fidèle à lui-même.
Seul bémol dans la salle, les enceintes ont été placées à ses extrémités les plus reculées, en amont du DJ Booth, privant par erreur la partie du public face aux DJs de la puissance sonore nécessaire pour se mettre à fond dedans. Coup de cœur également pour le live très dansant du Motel, qui a pu montrer toute l’étendue de sa palette musicale, des beats très UK et tribal, loin du son de ses productions pour Roméo Elvis ainsi que pour le set fumeux aux frontières House-Techno floues de Stellar OM Source dans une room 3 survoltée.
Après l’épisode de la veille, nous avons botté en touche le samedi, préférant rejoindre le coin des gens du fond qui bouge la tête sans vraiment danser plutôt que la foule compacte des premiers rangs. Mr Scruff comme Hunee se sont révélés efficaces comme à leur habitude, le premier naviguant d’un genre à l’autre en revisitant les grands classiques, là où le second préfère jouer des disques en partie inaccessibles au commun des utilisateurs Discogs. Le système son de la room 3 manquait malheureusement de « patate » ce soir-là pour pouvoir apprécier pleinement les sets plus extravagants de DJ SoFa et Lawrence Le Doux. Dommage.
Le lendemain, on prend la route du centre légèrement « jetlagé ». Perturbé de tourner au rhum-coca dans un tram qui nous conduit tout droit vers un dimanche soir à 140 BPM. Le jeune islandais Volruptus, « l’Alien Boogie commander » révélé au grand jour en 2017 par трип, label de Nina Kravitz, fût l’une des belles claques de cette édition. On pouvait difficilement faire mieux comme live electro-techno drexciesque pour ouvrir la voie à DJ Stingray, l’un des apôtres originels du genre.
Ce soir-là difficile de décoller d’un C12 plus clairsemé que les nuits précédentes. Chacun y trouve son espace vital pour danser et apprécier pleinement la musique. Chris Ferreira clôturera le festival par un set musclé et méticuleusement réfléchi. La veille encore, il nous partageait au détour d’une bière son excitation de pouvoir jouer à 170 BPM sans avoir à « cutter » ses morceaux. La fin de l’histoire a comme un air de déjà vu : 7h du matin, les rues endormies de Bruxelles, une reprise de Richenel dans un cône de chantier, un lit à même le sol salvateur.
En résumé du week-end
Avec ces quatre soirées dont deux soirs complets sur prévente, sa capacité à fédérer la scène locale tout en programmant de l’international et ses multiples événements annexes éparpillés dans la ville, il va sans dire que le Listen Festival prend de la vitesse dans la course qui le sépare de ses homologues et modèles que sont l’ADE ou les Nuits Sonores. Si le festival a su reproduire les aspects positifs de ces mastodontes, il serait dommage, à l’inverse, d’en répéter les mêmes travers.
L’exposition « Digger de Bruxelles » à l’ING Art Center
Cette année, les prix pratiqués au bar étaient particulièrement onéreux, à la limite du prohibitif pour les festivaliers les plus modestes, qui plus est en Belgique où il est encore rare qu’un festival affiche des tarifs de clubs parisiens pour des demis de pills. Alors forcément, on se questionne : qu’est-ce qui vient justifier des marges aussi importantes ? Les hypothèses sont nombreuses et complémentaires mais il va s’en dire que l’on préfère de loin des tarifs accessibles pour tous plutôt que des lasers derniers cris pour équiper les lieux.
Autre zone d’ombre, la présence, à mon sens, trop importante du « branding » sur l’ensemble du festival. Les modèles économiques de tels événements sont évidemment fragiles : fatalité des coûts croissants, cachets en constante hausse, concurrence exacerbée… En Belgique, où l’aide publique est moins présente qu’en France, le soutien financier/matériel de partenaires privés est donc primordial, si ce n’est obligatoire, pour exister. Cependant, l’omniprésence (même discrète) des marques, produits et slogans publicitaires des partenaires aux différents endroits du Listen Festival nuit à l’essence « culturelle » de l’événement au profit d’une approche plus mercantile (assumée?) des festivaliers et du projet dans son ensemble. D’autant plus que les divers moments de réflexion et débats passionnants autour de la musique et de la culture club, organisées les éditions précédentes, n’ont pas eu lieu cette année.
Le festival évolue et avec lui ses orientations stratégiques au risque de déplaire, peut-être, à une partie de son public plus regardant/attaché à l’essentiel… affaire à suivre l’année prochaine !