En Géorgie, le peuple est dans les rues depuis 12 jours consécutifs. Des milliers de manifestants défilent dans les rues pour contester la politique autoritaire, anti-européenne et anti-lgbtq+ du gouvernement au pouvoir en place, dont la victoire aux élections n’a pas été reconnue par l’opposition.
Face à la répression, la scène club foisonnante, underground et inclusive de Tbilissi s'est progressivement imposée comme un acteur clé de la résistance culturelle et politique. Dans un communiqué commun, les principaux clubs de la ville appelaient le 29 novembre à se mobiliser massivement contre le “gouvernement illégitime” en place, et nombre d’entre eux ont décidé de fermer leurs portes pour amplifier la protestation.
Des manifestations ont éclaté à Tbilisi depuis le 28 novembre dernier en protestation contre le gouvernement au pouvoir, dont la victoire aux élections législatives, en raison de soupçons de trucage, n’est reconnue ni par les observateurs internationaux ni par la présidente du pays, Salomé Zourabichvili.
Chaque soir, des milliers de personnes se rassemblent devant le parlement pour demander la démission du gouvernement, entraînant de nombreux affrontements avec la police et une forte répression massivement relayés sur les réseaux sociaux.
À l’origine de la contestation : les dérives pro-russes du parti au pouvoir, “Georgian Dream”, qui a récemment annoncé la suspension jusqu’en 2028 des pourparlers autour d’une potentielle intégration de la Géorgie à l’Union Européenne.
Également au coeur des tensions, le nouveau projet de loi anti LGBTQ+ inspiré de la législation russe, récemment promulgué par le parlement, qui restreint considérablement les libertés et accroit les discriminations de la commuauté queer.
De véritables affronts pour la jeunesse du pays, dont les rêves longtemps miroités d’une entrée dans l’UE se voient enterrés, et avec eux un certain idéal démocratique, des avancées sur les droits des minorités et une plus grande indépendance vis-à-vis de la Russie.
Pourtant, Tbilisi accueille une des scènes électroniques les plus inclusives et avant-gardistes d’Europe, avec des clubs comme le Bassiani, le Khidi ou TES Club qui rayonnent à l’international et accueillent certaines des plus grandes figures de la techno.
Considérée par beaucoup comme le nouveau Berlin des années 90 pour son émulsion culturelle, sa culture underground, et la dynamique révoltée de sa jeunesse, la ville voit aujourd’hui les espaces de liberté de sa scène club entravés par la politique menée par le gouvernement.
Dans un communiqué publié le 29 novembre dernier, quelques uns des principaux clubs de Tbilisi - Bassiani, Mtkvarze, Left Bank, TES, KHIDI, Café-Gallery et Tbili Orgia - ont appelé à une mobilisation massive des citoyens contre le gouvernement. Certains d’entre eux ont même fermé leurs portes ces dernières semaines pour amplifier cette protestation.
“Hier, le gouvernement illégitime de la Géorgie a ouvertement et explicitement rejeté la volonté du peuple géorgien de rejoindre la famille européenne. Le fruit de plusieurs années de travail sociétal, de difficultés et de luttes – pour devenir un État démocratique fondé sur la liberté et l'égalité – a été temporairement suspendu.”
"Un pays en crise fait désormais face à la menace de l'isolement international et de l'effondrement économique, mettant en péril tous les aspects de la vie, y compris la culture club et les moyens de subsistance de ceux qui y travaillent. Dans de telles circonstances, l'existence et la préservation d'espaces libres et sûrs sont devenues d'une importance culturelle majeure.”
La communauté électronique internationale a également exprimé son soutien, à l’image de la radio berlinoise Refuge Worldwide qui a réagi sur Instagram après l’annulation d’une date dans le club Left Bank : "Nous souhaitons au peuple géorgien de continuer à faire preuve de force dans les semaines à venir alors qu'il se bat pour l'avenir du pays."
Nastia, DJ ukrainienne qui devait se produire au Khidi il y a quelques jours a également exprimé sa "pleine solidarité avec le peuple géorgien qui se soucie de son avenir et de ses opportunités."
Ce n’est pas la première fois que des manifestations éclatent dans le pays : des protestations avaient déjà eu lieu plus tôt cette année, notamment en mai contre la loi sur les "agents étrangers", marginalisant les ONG et médias en partie financés en dehors du pays, qui a suscité un large rejet au sein de la population.
Plusieurs établissements de Tbilisi avaient à l’époque déjà fermé leurs portes en protestation, et un communiqué signé par la plupart des acteurs de la scène électronique signalait déjà le danger d’une telle loi pour le secteur culturel et l’isolation potentielle du pays à l’international.
Des clubs aux disquaires (Vodkast Records, Pluto’s) en passant par les festivals (4GB, Tbilisi Open Air, Decoder Festival), les labels (Morevi Records, , les radios (Mutant Radio, Drama Radio), les bars (Dedaena Bar, Mozaika) et les collectifs (Eau de Cologne, Wings of Desire), la scène a fait bloc, car la mobilisation contre le pouvoir est organisée et ne date pas d’hier.
En 2018, le Bassiani et Café Gallery avaient été le théâtre de descentes de police simultanées, largement condamnées par la communauté club internationale, durant lesquelles des dizaines de teufeurs avaient été brutalement arrêtés.
En réponse à cet événement, plusieurs rave parties géantes ont été organisées devant le parlement en signe de protestation, transformant la rue en un véritable espace de résistance festive et rassemblant des milliers de manifestants.
Cet épisode a marqué un tournant pour la scène club géorgienne, renforçant la résistance face à la répression et faisant du club un symbole de la lutte pour la liberté culturelle.
Face à un gouvernement très contesté et à des politiques répressives condamnées à l’international, la scène club de Tbilissi s'est imposée comme un acteur clé de la résistance culturelle et politique.
Bien plus que des lieux de fête, ses clubs incarnent aujourd'hui des espaces de liberté, d'inclusion et de lutte pour la démocratie. Ils sont aujourd’hui les principaux lieux où la jeunesse géorgienne se rassemble et s’organise.
En mobilisant leurs communautés et en fermant leurs portes pour soutenir les manifestations, ces institutions montrent à quel point la culture peut être un levier puissant de changement et une réponse aux dérives autoritaires.