Photo en une © Sara De Graeve

En imaginant leur festival comme une expérience à la fois poétique et libératrice, les organisateurs du Waking Life ont fait naître une civilisation en harmonie et bien loin des nouvelles technologies : réseaux sociaux et sur-médiatisation. Retour sur ces cinq jours passés dans l’une des régions les plus désertiques d’Europe pour la deuxième édition de ce festival émancipateur.

Au bout d’une route poussiéreuse et cabossée, apparaissent les premières voitures et camping-car, puis des lumières au loin qui dansent dès lors sur les premières notes de musique.

Mercredi

Mercredi, il est neuf heures du soir et l’aventure s’apprête tout juste à commencer. Comme l’indique l’introduction, c’est niché en pleine nature, non loin de la ville de Crato, au nord-est de Lisbonne et au bord d’un lac, que plusieurs centaines de festivaliers ont posé leurs bagages. Le premier soir débute en douceur avec la scène ‘Cochilo’ où joueront A.Brehme, Plaid & Felix’s Machines et Sa Pa. Loin d’un opening à têtes d’affiches et gros kick, le Waking Life programme un live innovant du duo emblématique de la maison Warp : Plaid & Felix’s Machines. Positionnés autour de leur installation délurée, entre xylophones et percussions trafiquées, les deux anglais dévoilent des sonorités qui mêlent acoustique et électronique à la fois douces et sincères. C’est Sa Pa, figure du label Giegling – gérant de la scène Outro Lado – qui clotûre la scène vers trois heures avec quelques tracks plus dynamiques.

© Sara De Graeve

Jeudi

Le jour se lève, la brume disparaît peu à peu et laisse place à ce paysage naturel, pas si loin du paradis. Malgré les quelques trois mille personnes présentes sur le lieu, la politique du ‘leave no trace‘ semble largement respectée, tout comme l’hygiène des douches et toilettes. Plusieurs zones d’ombres ont été amménagées et la scène ‘Cochilo’, qui accueillait l’opening du mercredi, deviendra une sorte de chill area où quelques DJs passeront de l’ambient, de la dub ou encore du reggae.

Pendant ce temps, les deux scènes principales ont ouvertes. ‘Outro Lado’ qui verra au cours de ces quatre prochains jours toute la troupe Giegling se passer les platines (DJ Dustin, Kettenkarussel, Ateq…) et ‘Floresta’ à la programmation davantage axée techno. Après avoir vu une partie du live de Map.ache, c’est sur un de ses morceaux ‘Thank U Again‘ qu’on décide de rejoindre la scène Floresta. Situées de part et d’autre du lac (mais assez loin du camping pour ne pas déranger les dormeurs), les scènes pouvaient se rejoindre à pied ou… en radeau.

Si les installations se regardent souvent avec les yeux, certaines ont un aspect plus fonctionnel et ludique : de quoi réveiller nos âmes d’enfants. Un, deux, trois, quatre, cinq, six et – hop – tout le monde embarque pour rejoindre le rivage en tirant sur la corde reliée à celui-ci.  Perché dans un filet entre deux arbres dans l’attente du live de Priku, aucune performance ne se démarquera des autres avant le petit matin. Six heures tapantes, la scène Outro Lado voit arriver Job Jobse, Elias Mazian et Luc Mast pour un DJ set à six mains qui met tout le monde d’accord. Tandis que le soleil se lève sur le lac, les tracks s’enchaînent avec précision et allient house et mélodies parfaitement maitrisées, de Carl Craig à Donato Dozzy. C’est ‘Maybe‘ de Kettenkarussell qui marquera pour nous le meilleur moment de leur passage.

© Alexandru Ponoran

Vendredi

Troisième jour et pas des moindres, même si les zones d’ombres sur le camping furent nombreuses, les hautes températures ont supris tout le monde. Mais toujours dans un souci de bien faire, de multiples points d’eau étaient à disposition, et au bar, pour un minime token, les festivaliers pouvaient s’acheter un litre et demi d’eau fraîche. Qui dit mieux ?

Le développement durable était donc un point crucial pour les organisateurs du Waking Life. En plus d’être irréprochable sur le recyclage et la propreté, toute la nourriture présente sur le lieu était végétarienne et/ou vegan. Réfractaire à ce type d’alimentation, sachez que la plupart auront changer d’avis après ces cinq jours. Cuisine indienne, thaï, italienne, raw food et smoothies ; le choix était vaste et ouvert, par intermittence, jour et nuit.

La notion d’expérience mise en avant par le festival prend alors tout son sens. Tantôt s’aimer soi-même et les autres, tantôt expérimenter et découvrir. Cette nouvelle journée marquait l’ouverture de la quatrième et dernière scène ‘Praia’ avec un premier live du groupe Stavroz. Entre trompette, synthé et drum, les quatres garçons semblaient totalement complémentaires et véhiculaient une énergie évidente. Chiller dans des hamacs, faire un tour dans le lac, danser les pieds dans le sable… Waking Life s’apparente à un village éphémère où chacun est libre. Alors que Lone termine son live, c’est DJ Dustin qui prend la suite : comparé à un grand maître par certains, Dustin à cette chose à la fois indéniable et impalpable qu’il véhicule pendant trois heures. Dansant et souriant, l’artiste amène son public où il le souhaite et va toujours où on ne l’attend pas. Ce troisième jour se finit avec Objekt sur la scène Floresta qui nous livre un set éclectique entre mental, deep techno, breaké et trance.

© Alexandru Ponoran

© Alexandru Ponoran

Samedi

Avec une telle programmation, on s’attend à retrouver principalement des fin diggers de musique et pourtant, au fil du festival, on a pu rencontrer des personnes venues de loin pour l’ambiance générale à la fois relaxante et apaisante. Amateur de déconnexion, hippie, famille,.. si la foule était éclectique ces premiers jours les deux suivants montraient au contraire une fusion de cette mixité.

Samedi et dimanche furent les jours phares en terme programmation avec de nombreuses grandes pointures internationnales : Call Super, Afriqua, Peter Van Hoesen, Aleksi Perälä, Cio D’or ou encore Rhadoo, le festival a manifestement placé la barre très haute cette année. Léger turn-over avec la population, de nouveaux arrivants (principalement des locaux) semblaient s’être déplacés juste pour le week-end. Après tout, qui voudrait manquer un tel festival ?

Le samedi, difficile de quitter la scène Floresta avec l’enchaînement Call Super / Afriqua, les deux artistes envoient. Afriqua, connu pour ses performances captivantes à travers le monde, alterne entre hip-hop breaké (DJ Assault – Tear the Club Up) et house (Herbert – See You on Monday). Une heure du matin, le temps tourne à une vitesse folle, Sebastien Mullaert & Ulf Eriksson arrivent pour un live de cinq heures (rien que ça). Changement de lexique musical, les deux artistes commençent en douceur avant de partir sur une techno à la fois profonde et mentale comme la track « Decay«  d’Efdemin. Entre deux tracks, on se dirige vers la scène Floresta pour terminer sur le set de DVS1 qui ne déçoit que rarement.

Dimanche

Danser, manger, nager – dormir ? Difficile de se reposer avec cinq jours de fête et pourtant l’énergie est toujours là. Une énergie générale et contagieuse qui embaumera la scène Floresta dès neuf heures du matin pour le set de Peter Van Hoesen. Dernier jour au bord du lac, on en profite pour explorer chaque recoin et captiver ces moments à jamais.

Installations sauvages, cinéma, conférences, cours de yoga et méditation, worshops… Au-delà de la programmation artistique, les organisateurs ont tenté de promouvoir l’expérience. À 14h, c’est Kettenkarussell (composé de Konstantin et Leafar Legov) qui se produit scène Outro Lado. Perfomance très attendue, la magie opère pendant trois heures et la foule devient folle lorsque le duo nous gratifie de leur track ‘Maybe‘ qui pourrait bien devenir – pour nous – l’hymne du festival. Il faut aussi mentionner le système son ‘Loud Professional’ qui équipait chaque scène et qui est, sans nul doute, aussi responsable de ces moments incroyables.

La soirée se poursuit scène Floresta avec Architectural, Cio D’Or, Rrose et Anthony Linell. Un beau melting pot pour ravir nos oreilles. Le festival terminera sur un closing où s’enchaineront les artistes du label Giegling sur la scène Outro Lado. C’est DJ Dustin et Konstantin qui ont les platines, mais à peine une heure passée sur la scène qu’il faut partir attraper les navettes. C’est le coeur lourd mais remplit de souvenirs qu’une bonne centaine de festivaliers s’avancent vers la route.

© Alexandru Ponoran

On reviendra !

La question n’est pas vraiment ‘Comment conclure cet article?‘, mais plutôt ‘Comment se remettre d’une telle expérience?‘. Se réconforter et se dire qu’il reste quelques trois cent jours avant la prochaine édition – en espérant retrouver la même vibe dans ce festival à taille humaine, ou écumer les groupes à la recherche de track ID pour essayer de revivre un moment. Comme l’ont mis en avant les organisateurs ‘Live in the moment, Dude‘ : encourager les festivaliers à expérimenter, se respecter soi-même et les autres, s’emerveiller et, surtout, aimer toutes les belles choses qui nous entourent dans leurs moindres détails.

Une relation existe entre le physique et l’auditif. Les vibrations forment des sons, les sons forment un mouvement, le mouvement forme une extase. Les vibrations alimentent vos mouvements et ces mouvements consolident les belles vibrations qui vous entourent. Ce n’est pas à travers ce seul processus qui apparaît mais à travers une somme de toutes ces parties, à travers la synthèse, que la magie opère. » Cette citation-totem du groupe Facebook ‘waking life music‘ qui régit en grande partie des participants de l’édition 2018, semble des plus judicieuse pour définir toute la beauté du festival et terminer cette review.