Criminalisée par un article de loi qui interdit les rapports sexuels entre individus du même sexe, la communauté queer tunisienne se retrouve dans l’effervescence de la scène locale, plus véhémente et inclusive que jamais.

En Tunisie, on punit la sodomie. Épicentre du Printemps arabe, la révolution tunisienne éclate en décembre 2010. Pendant près de deux ans, des contestations populaires vont naître en Afrique du Nord et au Proche-Orient et accoucheront notamment sur la mise en place de nouveaux gouvernements en Libye, en Égypte, au Yémen et en Tunisie.

Après 24 ans de règne, le président Zine el-Abidine Ben Ali est donc chassé du pouvoir et tous les pans de la société tunisienne s’en retrouvent affectés. Dès lors, la Ligue tunisienne des droits de l’homme peut reprendre ses activités, les prisonniers d’opinion retrouvent leur liberté et tous les partis politiques et associations n’ont qu’à réclamer leur statut pour être reconnus et légalisés. C’est dans ce marasme que naissent les deux premières associations officielles de luttes pour les droits des personnes LGBT : DAMJ et Arkân.

©Oussema Nefzi @chongity

« La révolution a changé un peu les choses, mais pas de façon radicale », expliquait en 2021 l’activiste féministe Rania Arfaoui dans les colonnes de Courrier International. Co-fondatrice de l’association Mawjoudin engagée en faveur des droits des personnes LGBT, la jeune femme de 29 ans précise que « l’image selon laquelle la Tunisie est un pays progressiste est le résultat de décennies d’une habile propagande. Depuis l’arrivée au pouvoir de Ben Ali et jusqu’à ce qu’il soit renversé par la révolution, le gouvernement tunisien a tout fait pour véhiculer une image positive de la Tunisie à l’international. Il n’a cessé de faire croire que la Tunisie était un pays moderne, qui respectait les droits humains, mais ce n’est pas la réalité ».

Un article de loi homophobe

Pour l’année 2019, l’association Collectif civil pour les libertés individuelles dénombre pas moins de 120 procès pour homosexualité sur le territoire tunisien. Et pour cause, un texte de loi datant de l’époque colonialiste permet cette répression. Après son indépendance glanée sur la France en 1956, la Tunisie maintient l’article 230 du Code pénal qui prévoit jusqu’à trois ans de prison pour « sodomie » entre adultes consentants. En arabe, la version en vigueur vise « l’homosexualité féminine ou masculine ». C’est ainsi qu’en 2016, un jeune étudiant est condamné à un an de prison ferme après avoir subi un examen anal sur la base de l’article 230. 

L’année suivante, le gouvernement tunisien valide l’arrêt de la pratique du test anal et s’engage à « assurer la protection des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenre, altersexuels et intersexués, contre toutes les formes de stigmatisation, de discrimination et de violence ». Selon les chiffres officiels du ministère de la Justice publié dans un rapport soutenu par une trentaine d’associations, 799 personnes ont pourtant été condamnées à une peine de prison sur la base de l’article 230 de 2017 à 2020. 

L’inclusion s’invite à la fête

Fondée en 2014, Mawjoudin oeuvre pour faire évoluer les droits des personnes LGBT et des « normes imposées au corps et à la sexualité ». Quatre ans après sa création, l’association montait son propre festival du film annuel, le Mawjoudin Queer Film Festival de Tunis, l’occasion d’assoir la cause et de projeter sur grand écran les luttes du quotidien. En plus du cinéma tunisois, c’est sa scène techno qui se déploie. Cité extravagante, la capitale est réputée pour ses nuits brûlantes et, depuis une décennie maintenant, la scène électronique bourgeonne. 

D’années en années et à l’instar des boîtes de nuits, le nombre de collectifs pullulent. « Les raves et les free parties occupent désormais une place forte » avance le DJ et producteur BlindÇhild avant de déclarer que la naissance de Slavery marque un tournant.

Après avoir vécu quelques temps au rythme de « la scène underground russe« , les trois membres fondateurs du collectif Sly Community (Slavery) lancent leur toute première soirée à la fin de l’été 2018. C’est le début d’un nouveau chapitre. Dans leurs valises, ils ramènent des sonorités encore jamais entendues dans la capitale et une volonté de fédérer la scène émergente de manière inclusive. 

Membre de l’association DAMJ qui lutte pour la justice et l’égalité des minorités, Sifose alias Period Tea encense l’initiative : « Bien qu’ils ne se soient jamais explicitement proclamés pro-queer, Slavery était un endroit où nous pouvions nous exprimer librement ».

« Les agressions queerophobes ne cessent jamais »

DJ la nuit venue, le jeune homme de 27 ans est informaticien le jour. Il dépeint le portrait d’une société anxiogène et hostile à l’égard de sa communauté : « Compte tenu du contexte politique, les personnes de la communauté LGBT+ sont toujours en danger et ont du mal à sortir la nuit car la répression policière et les agressions queerophobes ne cessent jamais. Des soirées ont lieu de façon clandestine pour garantir notre sécurité. C’est un peu notre exutoire, notre refuge éphémère ».

Depuis Slavery, d’autres ont repris le flambeau. Parmi eux, le tout nouveau collectif Xpam s’impose comme la relève. Pensé par Omar Ayari, Xpam véhicule une vision « safe, free et accessible à toutes et tous celles et ceux qui apprécient la musique » confie BlindÇhild, premier résident de ces soirées.

Le 2 avril dernier, après sa cinquième édition, Xpam et toute la scène tunisoise mettaient contrôleurs et enceintes sous scellés. Début de la période du ramadan oblige, soirée pendant le mois sacré rime avec illégalité. Pas question donc de fêter, clandestinement ou pas. En attendant le retour des soirées prévu pour mai, la communauté LGBT se laisse à rêver d’un lendemain plus serein. Pour qu’enfin la Tunisie devienne la terre promise que son ancien dirigeant a longtemps laissé miroiter au monde entier. Et que Tunis se mue en chef-lieu, au Maghreb, des libertés sexuelles et des musiques électroniques.