Photo à la une © Le Viet Photography
Depuis quelques années, la folie du tatouage s’invite dans la sphère électroniques au sein des clubs, festivals et lieux éphémères. Décryptage d’un engouement.
En 1960, le tatouage est interdit en raison de la mauvaise vertu qu’il inspire. À l’époque, ceux qui osent laisser passer l’aiguille sous leurs peaux sont ceux qu’on rejette : les taulards et les prostitués. La pratique existe mais est illégale jusqu’en 1962, date avant laquelle seuls les bourreaux ont alors droit de graver les peaux. La première boutique de tatouage en France est ouverte par Bruno de Pigalle, qui se présente comme tel et comme « dessinateur intradermique ». C’est le début d’une nouvelle ère : celle du tatouage moderne.
Quarante ans après, au début des années 2000, le tatouage conquiert les protagonistes de la pop culture : footballeurs, acteurs ou chanteurs, tous les types personnalités publiques passent sous les aiguilles des tatoueurs. Aujourd’hui le succès de cet art, qui d’une certaine manière s’est toujours lié à un autre domaine (qu’il soit religieux, médical, punitif, ornemental, initiatique ou d’appartenance) est devenu planétaire.
Fête, underground et tatouage
Les musiques électroniques et le tatouage ont le point commun d’être emprunts à l’underground. Culturel mais contre-culturel, cette non-école se place en marge de la société et à l’écart des médias de masse. Dans les années 80, alors qu’une grande partie de la France n’approuve pas la tournure que prend le tatouage, une autre composée des fidèles aux mouvements artistiques d’avant-garde l’apprécie et se l’approprie. Les adeptes des styles musicaux alternatifs comme le rock ou la musique électronique en font même un symbole fort de leur identité.
Ce n’est que depuis une dizaine d’années environ que les deux cultures d’origines différentes fusionnent au sein d’évènements. « Le tattoo s’immisce dans les évents, car c’est devenu au fil du temps quelque chose de festif, » confirme Alice, l’artiste tatoueuse qui se cache derrière le compte Instagram @tontatooquiglisse. Pour elle, les organisateurs veulent offrir de la visibilité aux tatoueurs apprentis ou établis, parce que « c’est un bon moyen de se faire connaître, et peut être que les styles de certains tatoueurs correspondent plus à une cible de personnes qui sort en soirée, par exemple les dessins en rapport avec la musique, les soirées, la techno etc. » En somme, deux mondes qui s’élèvent mutuellement.
Pour la DJ parisienne Léa aka LeLeon, qui puise ses influences au croisement entre les musiques orientales et la scène underground de la fin des 80’s, la période de 2017 à 2019 a aussi marqué un tournant dans la démocratisation du tatouage qui s’est d’ailleurs en partie faite au sein du milieu festif. « Quand aujourd’hui en 2022, on voit des files d’attente sans fin un dimanche à 13h pour des événements comme le Tatoo Village, c’est super ! » s’exclame-t-elle.
Avec la démocratisation croissante de la pratique, les tatoueurs sont aujourd’hui une partie intégrante des concepts festifs. On voit des stands de tatouages dans les festivals comme Château Perché, le Little dans les Landes, l’Utopia à Marseille ou encore dans les résidences estivales Amour sur Seine du collectif Into The Deep au Mazette, mais aussi dans les évènements des collectifs comme Newtrack, Distrikt ou Kumquat, et également dans les lieux de vie nocturne comme le bar techno Liebe.
Le Tattoo Village ou la fusion de deux cultures dans un mini-festival
Nous rencontrons Rafael, le fondateur d’Increase The Groove, collectif-clé de la scène parisienne également à l’origine du Vinyle Village et du Tatoo Village. En juin 2019, il lance le premier Tatoo Village à La Bellevilloise avec la volonté de lier la culture du tatouage à celle des musiques électroniques au sein d’un seul et unique évènement « à son image, à la cool, pluriculturel et avec ses goûts musicaux. » C’est dans les premiers Vinyle Village, lorsqu’il observe un grand engouement autour des flashs des quelques tatoueurs invités que le Tatoo Village prend racine.

Depuis, lors de chacune de ses dates, une cinquantaine de tatoueurs pigmente les peaux sur fond de musiques hip-hop, house, downtempo, funk, reggae ou encore minimal. Sans dire que le tatouage est nécessairement lié aux musiques électroniques, Rafael affirme aujourd’hui qu‘ »il brasse tous les genres de musique et n’est plus attribué au marin, taulards ou au punk. »
« Les gens passaient à côté et lui disaient « putain elle est en train de te tatouer une énorme bite »
À 26 ans, Alice aka @tontatooquiglisse est aussi une tatoueuse invétérée des rendez-vous Newtrack. Il y a un an, à l’aube de la première soirée Coliseeum à La Rotonde Stalingrad, le collectif l’invite à tatouer sur son événement. Aujourd’hui, elle dessine sur les peaux des danseurs lors des Apéros BPM au Point Éphémère, et bientôt au format LA Brunch du dimanche dans le Nexus de Pantin. « Il y a une complexité à ne pas céder au bruit, à l’ambiance ou encore aux demandes démesurées comme celles des personnes en état d’ébriété. Tous les tatoueurs ne peuvent ou ne veulent pas tatouer en soirée », révèle Alice, qui confirme aussi que le tatouage en milieu festif nécessite une certaine rigueur, et que seul le temps et l’habitude ont forgé son expérience.
Il y a aussi des avantages : la discipline apporte visibilité, travail et bons moments. « Une fois, lors d’un Apéro BPM, un couple de potes est venu me voir en me disant « on a un pari il faut que tu tattoo à ma pote un dessin que j’aurai choisi et qu’elle n’aura pas vu à l’avance ». En gros il m’a montré un petit dessin sur son tel, j’ai d’abord demandé l’accord de sa pote, et c’était parti. Elle a vu le tattoo une fois fini. Heureusement c’était un délire qu’ils avaient eu entre eux sur Naruto il me semble. Les gens passaient à côté et lui disaient « putain elle est en train de te tatouer une énorme bite » (rires), c’était assez drôle.« , raconte Alice.

Il y a quelques années, c’est accompagnée d’un groupe d’amis que Léa aka LeLeon fonde son propre collectif : NEUF. Voué à mettre en lumière la pluridisciplinarité dans les arts, ce dernier convie lors de ses rendez-vous DJs, graphistes, scénographes, photographes et tatoueurs… Lors d’un évènement en 2018, deux de ses tatoueuses préférées Paillette et Zozita sont invitées. C’est en avril 2019, lorsque le crew réitère le format qui avait déjà fait l’unanimité que Léa cède à la tentation. « J’ai craqué avec Paillette : on a fait un tatouage dans le dos et c’était le premier que je faisais dans un cadre festif.», raconte-t-elle.
« À chaque fois ça a été de super expériences`. », confirme Léa. « Par ces différents événements j’ai pu rencontrer des artistes et des personnes talentueuses. Au-delà de la trace indélébile sur nos corps, il y a aussi le souvenir qui accompagne. J’ai pu me faire tatouer par des tatoueurs et tatoueuses vers qui je ne me serais peut-être pas tournée en temps normal. Des chemins se sont croisés grâce à ces réunions, et c’est tant mieux. » Depuis son premier, les tatouages de soirées soirées se sont multipliés sur son corps.
Le prochain Tatoo Village se tiendra le samedi 17 décembre à la Bellevilloise, toutes les informations sont à retrouver sur l’évènement Facebook.