Moment privilégié pour faire la fête, s’oublier le temps d’un week-end au rythme de la house et de la techno… les festivals de musique électronique ont la part belle depuis quelques années en France. Toutefois, le Transient sort radicalement de l’ordinaire.
Le festival se veut à la croisée des chemins entre musique électronique, arts visuels et numériques. Un savant mélange de diverses expériences, amenant le public à se projeter dans les arts du monde de demain. Les 4 et 5 novembre, Dure Vie s’est rendu au Cabaret Sauvage, l’un des lieux du festival (qui se déroulait également aux Instants Chavirés et à la Flèche d’Or), afin de voir par nous-même si cette 3e édition tiendrait ses promesses.
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Alors qu’un vent frais et une pluie fine balayaient le canal de la Villette, bercé par la lumière des néons rougeâtres, on pouvait entendre d’étranges sons en provenance du Cabaret Sauvage. Une petite file commençait à se former à l’entrée du club tandis que des vrombissements d’ambient et d’IDM résonnaient de plus belle. Une fois dans la salle, après une courte attente, le public – alors peu nombreux – est majoritairement assis en train de regarder le live audiovisuel de Gaëtan Gromer, suivi du duo belge Bunai Carus. Alors que le premier live laisse entrevoir des flashs de lumières symbolisés par des formes électrifiées, le second joue sur une atmosphère spatiale avec des beats déconstruits et une mélodie envoûtante.
Durant cette phase d’ouverture des hostilités, un autre espace attire la curiosité : les lives électroacoustiques de la Péniche Cinéma. L’ambiance y est assez conviviale, on a tout juste le temps d’arriver à la fin du live de Florient Collauti. Alors que la salle est plongée dans le pénombre et que chacun sirote une bière en discutant, une décharge sonore suivie d’un flash lumineux nous sort tous de la torpeur. Il s’agit de l’artiste québécois Alexis Langevin – Tétrault qui présente son live « Interférences » à l’aide d’une machine électroacoustique constituée d’un cadran où se croisent des cordes reliées à un ordinateur via des micro contacts. Des lumières situées à chaque extrémité des cordes s’allument à chaque contact avec les mains de l’artiste, offrant un aperçu global saisissant.
Convaincu par ce live très expérimental et novateur, on est allé poser quelques questions à l’artiste de 32 ans à la fin de sa prestation. Il nous explique l’importance que peut prendre l’électro-acoustique dans la musique de demain. Il nous parle de son passé de guitariste tourné vers la musique expérimentale, à la constante recherche d’instruments uniques. Si avec son projet « Interférences », il décrit une expérience se rapprochant de synthétiseurs modulaires, il n’exclut pas qu’à l’avenir le cadran mute en véritable sphère à l’intérieur de laquelle il serait placé afin d’offrir un spectacle encore plus immersif.
Suite à ça, le tunisien Shinagami San laissait la part belle au voyage et à la rêverie avec son live audiovisuel. La musique, à la croisé entre drone et IDM, s’accordait parfaitement avec les images projetées, représentant des lignes devenant des sortes de portes, l’image se distordant en synchronisation avec les basses. Le résultat visuel empruntait à l’esthétique minimaliste de manière très convaincante.
Après cette parenthèse sur la Péniche Cinéma, on est retourné voir ce qui se tramait dans la salle principale. La majorité du public était assis, ébahi devant un spectacle qui relevait plus du ballet que du festival de musique électronique. Des notes de violoncelle laissaient voir la représentation assez abstraite d’une vague engloutissant progressivement un paysage urbain en noir et blanc, pour disparaître ensuite petit à petit dans une conclusion de grande poésie.
Après un bref entracte, c’était au tour de l’allemand M.E.S.H. de se produire, accompagné de l’artiste Michael Guidetti pour la partie visuelle. Ce live tranchait assez radicalement avec ce qu’on avait vu précédemment, la musique mélangeait habilement divers styles, de l’IDM à la bass music, souvent dans un registre très expérimental. Les beats totalement déconstruits répondaient à des mélodies rappelant la trance des premières rave party. Visuellement, le trip était complet. Après avoir survolé une planète extra-terrestre, le spectateur se retrouvait plongé dans un puit interminable, pour ensuite atterrir à proximité de corps colorés, allongés au milieu de machines. On peut retrouver un petit aperçu filmé de manière amateur par une spectatrice ici. À ce moment, on doit malheureusement quitter le festival en pleine première partie car le devoir nous appelle ailleurs, appréciant toutefois le moment d’évasion offert.
© Anaîs-Duvert
Pour notre 2ème jour au Transient, le temps fait encore malheureusement des siennes, mais la bonne ambiance de la veille est toujours là. La scène principale est alors occupée par le français Sylvgheist Maëlström. On retrouve une approche plus orientée techno, qui n’est pas sans rappeler à certains moments Kangding Ray. La musique accompagne des histoires qui nous sont racontées via les visuels projetés. On y retrouve un côté, à la fois mélancolique ou même dramatique, et finit avec une vision d’apocalypse illustrée par Prypiat et Tchernobyl. On pourra toutefois reprocher au système son du Cabaret Sauvage d’avoir un peu agressé les oreilles du public, les envolées de Sylvgheist Maëlström dans les aiguës en ont fait malheureusement fuir plus d’un.
Après cette prestation, c’est au tour de Franck Vigroux de prendre le relais, malheureusement non-accompagné de Mika Vainio pour des raisons de santé. On assiste alors à une prestation efficace qui peut se résumer par une montée musicale progressive qui nous fait passer de la drone à une noise music plus implacable. Les rythmiques font alors leur apparition et s’accélèrent progressivement. Alors que l’ambiance verse dans le mystique, le retour se veut plus doux, permettant au public de redescendre en douceur.
Commence alors un des moments forts du festival : le live audiovisuel de l’anglais Samuel Kerridge, « Fatal Light Attraction« . Connu pour ses phases expérimentales dans ses lives, l’artiste nous impose ici une vision apocalyptique de la techno. Alors que commence à se créer progressivement un jeu d’ombres et lumières savamment mis au point, Samuel Kerridge se saisit de machines aussi bien que d’une guitare électrique pour jouer avec les saturations à tendance noise, tout en commençant à construire l’identité de son show. L’influence d’Aphex Twin se fait d’ailleurs parfois sentir. Le final est un véritable coup de poing, il se déchaîne, l’ombre derrière lui diffuse une vision totalement trouble du personnage. Alors qu’il se saisit d’un micro qui rappelle le son oppressant des messages de Big Brother dans 1984, il hurle sur la foule, le tout dans un tourbillon de techno ultra violente. Les clameurs du public à la fin du live témoigne de l’engouement qu’il y a eu autour de cette prestation incroyable. La vidéo amateur (basse qualité) ci-dessous résume bien l’ambiance.
Après ce moment intense, un petit break s’imposait pour aller souffler et profiter des diverses installations du Transient qui mettaient en avant les arts numériques à l’extérieur du chapiteau du Cabaret Sauvage. Les concepts proposés au public étaient en général plutôt intéressants. On retrouvait par exemple l’installation « Immersions part 2 » de Dorian Ohx qui mettait en scène des téléviseurs tout droit sortis des années 80-90, montrant des fragments de vie capturés sur d’obscures cassettes poussiéreuses. On peut également citer « Fake Realities » du canadien Hugues Clément, qui consistait en triptyque composé d’images numériques grand format, assemblées avec poésie. Pendant ce temps, Container était en train de chauffer à blanc la salle principale.
Un interlude relativement long, hélas involontaire. En effet, les différentes installations pour des lives très variés demandaient une grosse organisation et le live de Coldgeist fût malencontreusement annulé pour des raisons techniques. C’est alors qu’Abdulla Rashim pris les commandes pour démarrer une nouvelle phase de la soirée, plus ancrée techno, mais avec le style mental qui caractérise bien le Suédois. Ses transitions audacieuses, longues et travaillées ont su mettre en place une profondeur auquel le public était très réceptif.
Après ça, un autre moment fort fût le dj set de Xhin. Dissimulé dans la foule en début de soirée, le Singapourien – qu’on connait surtout pour ses sorties sur le label Stroboscopic Atrefacts et sa techno abyssale – en a surpris plus d’un avec un set très rythmé. L’artiste a démontré sa connaissance parfaite de l’art du mix avec ses nombreux cuts audacieux et des breaks imposant une dynamique certaine. Oscillant entre techno brutale et des titres plus orientés dancefloor comme « Before The Crash » de Gary Beck, il s’est même offert le luxe de finir sur des morceaux de house.
© Tom Jö
Après, lui vint un des artistes les plus attendus du festival, la légende anglaise Luke Slater, le vétéran qui a laissé une empreinte indélébile au sein du monde de la techno. Avec sa techno à la fois spatiale, parfois hypnotique, ses deux heures de dj set ont su séduire le public qui s’est laissé aller au jeu. Le dj/producteur n’hésitait pas à jouer quelques classiques tout en gardant une cohérence dans la construction de son voyage musical.
Après cette soirée intense, c’est sur la techno fracassante du parisien BLNDR que Dure Vie quitte les lieux du festival, pour regagner la douce quiétude de la vie quotidienne. Même si certains problèmes techniques et le temps ont pu nuire au bon déroulement du festival, le Transient reste un événement audacieux, sachant prendre des risques tant sur sa programmation que par l’approche proposée. On regrettera vraiment d’avoir loupé le reste du festival, qui semblait lui aussi très réussi. Unique en son genre, le Transient mérite une attention particulière. La volonté d’innover, de découvrir, d’expérimenter, tout en s’évadant, c’est probablement la philosophie principale et elle laisse entrevoir un aperçu du monde de demain.
Le Transient organise « The Echo » dans le cadre du Off, vendredi 25 novembre au Batofar.
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© Photo de couverture : Tom Jö