Le samedi 30 septembre dernier se tenait la première édition d’Alphapodis : festival de musiques électroniques engagé dans la lutte contre le cancer du sein, organisé de toutes pièces par une équipe de professionnels et d’étudiants paramédicaux. Pour assister au lancement de cette initiative originale et prometteuse, nous avons mis cap sur le manoir de la Chaslerie, domicile d’un jour du festival et site historique logé au cœur de la Basse-Normandie, à mi-chemin entre Rennes et Caen.
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Domfront Express
Notre convoi part de Lille en fin de matinée, l’esprit encore frustré qu’on le prive d’une grasse matinée attendue et méritée. On s’empresse de caler tentes et rechanges dans le coffre du Partner, les cannettes de Rince Cochon se font la malle à chaque virage négocié un peu trop vite. On récupère en deux-deux M I K U au coin d’une rue. Le jeune artiste, fraîchement arrivé dans la capitale des Flandres pour les études, mixe à 19h et sort tout juste d’un DS de maths de 4h.
On occupe comme on peut les 5h de route qui nous séparent du festival. Les discussions portent tantôt sur les classes préparatoires et leurs pratiques excessives, tantôt sur le business de la musique et les projets futurs du DJ. Les champs défilent, et plus l’on s’enfonce dans les terres normandes, plus l’environnement alentour prend des airs de « Sheitan ». On se marre comme des cons en traversant « Putanges-Pont-Écrepin » et encore plus devant une devanture fièrement nommée « Jackie Batard ».
Il est quasiment 18h quand nous arrivons à destination. Malgré la grisaille, le site est particulièrement beau au milieu des champs et des arbres mais reste néanmoins difficile d’accès. N’espérez pas vous y rendre facilement – autrement qu’en voiture et avec un GPS fonctionnel. Une grande allée nous conduit du parking jusqu’au camping/festival. La descente est périlleuse avec les pluies de la veille, celles-ci n’auront pas non plus épargné le camping. Situé à vingt mètres de l’entrée du site, la zone dortoir est assez bourbeuse. Pas de quoi effrayer pour autant le public, majoritairement breton et normand, qui n’est pas du genre à la jouer « eau précieuse » face à la boue. On installe notre camp de fortune en vitesse avant de craquer une 16 sur les accords familiers du morceau de Konstantin Sibold, « Leif ».
House 90’s et pyjamas panda
Le site du festival est divisé en deux parties. Un grand espace bar et restauration sépare l’entrée du festival de la grande scène. Imposante et joliment mise en lumière/scénographiée, celle-ci est posée au pied du manoir et protège l’accès à la cour intérieure dans laquelle se trouvent loges et zone-tampon du staff. On accède à la seconde zone par un petit escalier de pierre donnant sur un grand espace accueillant la scène – plus petite – du Pournouët, les stands de sensibilisation, l’espace maquillage, des assises en palette et un second bar. C’est ici que se produisent les nombreux collectifs locaux et autres jeunes porteurs de projets musicaux.
Sur la scène du Tollec, Marina Trench nous régale de ses galettes house finement sélectionnées. La DJ est à son aise et ne manque pas d’échanger regards complices et petites blagues avec le public. Le rythme chaloupé et les textures bien deep du morceau « Rhythm Of Life » de Keith Thompson comme les paroles salvatrices du titre « Save Me » de Sven Love et Mandel Turner redonnent du baume au cœur aux festivaliers.
Une petite pluie s’invite à la fin du set sur le beat saccadé du classique UR 001, « Yolanda – You’re time is up », sans toutefois empêcher les gens de danser comme des animaux. Littéralement. Une troupe semble avoir dévalisé le rayon pyjama de Primark et se trémousse sur la piste déguisée en pandas, singes, tigres et licorne. La scène est drôle à voir et annonce les prémices d’une soirée sympathique, malgré une fréquentation relativement calme des lieux en ce début de soirée.
Un « chien chaud » et ça repart
Point positif, la carte finement réalisée du bar et de la restauration. Le choix de boissons est assez large : bières d’abbaye et blanches côtoient poiré et MeuhCola, ce qui nous change de la Kro en pression à 8€ des grands festivals. Côté assiette, l’association propose des « chiens chauds » à base de vraies saucisses parsemées de petits oignons, et accompagnées de frites maisons croustillantes ou de coquillettes au camembert. On se régale sur le camping, planqué dans nos tentes lors d’une pause apéritive de rigueur.
De retour sur le site, chacun vaque à ses occupations, session maquillage au posca pour les uns, « refill » de bières et atelier roulage pour les autres. Le site manque un peu d’éclairage sur certaines zones, notamment dans l’espace du Pournouët, ce qui rend parfois compliquée la tâche de reconnaître les siens parmi les rangées d’imperméables.
Je retrouve mon équipe devant les Chineurs de Rennes, qui nous gratifient d’un très bon set House. Les références des deux DJs sont plus récentes, on y entend des morceaux comme « Love Frequencies » de Folamour, « You say » d’Illyus & Barrientos, un edit du morceau de Chicago « Street Player » et l’efficace bien que presque trop entendu « If only » de Liem. Sur la scène principale, où se concentre le gros du public, la sélection résolument plus techno d’Anetha a pris la suite des sets d’Alan D, de Piu Piu et de FEM. Fatigués, nous préférons suivre la voix de la raison et anticiper la longue route du lendemain. Dans l’espoir vain de grapiller quelques heures de sommeil réparatrices, nous déclarons forfait et prenons la direction du camping.
« Taiseeeez – vous »
9h, dimanche. Le réveil est agité. En bon camping de festival qui se respecte, une poignée d’irréductibles « gaulois » résiste encore et toujours à l’appel du sommeil, et ils n’oublient pas, dans leur grande bonté, d’en faire profiter tout le monde. Concerts de pipeaux et imitations d’Alain Finkielkraut nous arrachent des bras de Morphée. Le pliage de tente sous le crachin et dans la boue me rappelle, non sans une teinte de nostalgie, de vieux souvenirs de soirées dans les champs bretons. On quitte le festival avec ce sentiment partagé que l’on revient de loin.
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Pour une première édition, il va sans dire qu’Alphapodis s’en sort très bien. Malgré des conditions climatiques difficiles, un paramètre qui était nécessairement « à risque » pour une fin de mois de septembre en Normandie, l’initiative a su mobiliser un public qu’on attendait certes un chouïa plus nombreux, mais éminemment motivé, fêtard, drôle et sans prise de tête.
UPSET, malgré un budget serré (rappelons ici que 80% des bénéfices du festival sont reversés à deux associations « la Ligue Contre le Cancer de l’Orne » et « Le cancer du sein, Parlons-en ! »), a su investir sa trésorerie aux bons endroits : une belle scène principale, des système-sons bien calibrés, une carte originale et de qualité…
Le festival doit également sa réussite au travail acharné de son équipe bénévole. Ils sont une soixantaine au total à avoir, pendant un ou plusieurs jours, œuvrés à la mise en place et au bon déroulement du festival. Sur les parkings, les entrées, aux bars, au camping, au démontage dans la boue… nous ne pouvons que saluer l’investissement sans faille de tous ces hommes et femmes en rose et noir. Une dynamique d’équipe qui s’inscrit parfaitement dans la ligne militante promue par l’association.
Quelques jours plus tard, les retours sur l’organisation, le site et la musique sont élogieux. Artistes comme public ont applaudi le travail réalisé pour cette première édition. Le préfet, les maires des communes alentours et un député du coin ont même gratifié l’événement d’une petite visite de courtoisie, signe plutôt optimiste pour la suite !
Malgré ces quelques petites maladresses des premières fois, vite pardonnées car inhérentes à tout commencement de nouveau projet, il semblerait que la mise en orbite soit réussie pour ce festival au nom d’étoile. On souhaite en tous cas le meilleur à Alphapodis dans la poursuite de son voyage astral.
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Crédits photos : David Antunes / Lény Richard