Crédit photo : Jacob Khrist

Depuis plus de 30 ans, Laurent Garnier ne cesse de se battre pour que les musiques électroniques soient reconnues et légitimées, au même titre que tout autre courant musical et artistique. Aujourd’hui, sa contribution à la démocratisation d’un milieu souvent controversé apparaît comme une évidence. Engagé, déterminé mais avant tout humain, c’est avec le sourire qu’il nous accueille dans le cadre du Nancy Jazz Pulsations pour nous donner une véritable leçon de vie, en toute humilité.

Aujourd’hui, c’est la diffusion de What’s Next, ta nouvelle émission de radio produite par Christian Borde également connu sous son pseudo grolandais Jules-Edouard Moustic. Tu peux nous expliquer le projet ?

Moustic est un ami de longue date et il a lancé I Have a Dream, sa propre radio, il y a quelques années. Lorsque je lui ai présenté ma nouvelle émission What’s Next, il a tout de suite accroché. J’ai réalisé It Is What It Is pendant 8 ans, ce qui est déjà amplement suffisant selon moi. J’ai horreur de me répéter, du coup j’ai décidé de changer de format et de concept. Et puis, il ne faut pas se mentir : mon ancienne émission existait en deux langues et était devenue trop chronophage !

Avec What’s Next, je me concentre davantage sur le moment présent. L’émission est tantôt présentée en anglais, tantôt en français. Tout est question de contexte, et le concept reste relativement finalement simple. C’est une sorte de déambulation sonore avec mon enregistreur pendant laquelle je capture tout et n’importe quoi. C’est plus authentique que de présenter un track en expliquant qui est son auteur, sur quel label il est sorti, etc… tout le monde s’en fout éperdument, sauf moi ! (rires)

Ce besoin de contextualiser en permanence me permet de rebondir sur un disque qui me fait penser à un instant de vie, puis de le jouer naturellement. Tiens, par exemple, j’étais chez un ami qui a des poules il y a quelques semaines : je les ai suivi avec mon Tascam pour les enregistrer. Véridique ! Et si j’en avais envie, je pourrais même rebondir avec un disque dans lequel on entend des gloussements de poule ! (Rires) Ou bien autre exemple plus sérieux, j’ai enregistré une petite fille qui me disait vouloir devenir avocate pour pouvoir mettre en prison les méchants individus qui peuplent la Terre. Mais c’était assez particulier car elle voulait défendre les criminels pour mieux pouvoir les foutre en taule ! C’est sa naïveté juvénile qui m’a naturellement fait rire, en plus de m’émouvoir. Ce sont des moments de vie comme ceux-ci que j’ai envie de partager avec mes auditeurs.

 « We dance together, we fight together ». C’est le slogan employé par la jeunesse Géorgienne et entendu plus tôt dans l’année pour dénoncer la répression d’un gouvernement autoritaire, notamment envers le milieu des musiques électroniques. Qu’est-ce que la situation t’évoque ?

La question que je me pose est la suivante : le gouvernement géorgien s’en prend-t-il à la techno car c’est une musique qui prône la plus grande liberté ou s’en prend-il tout simplement au monde de la nuit d’une manière plus générale ? Je n’ai pas la réponse.

Toutefois, quelle que soit la cause, je comprends entièrement les jeunes qui se battent pour la défendre. Tu sais, on s’est énormément battus en France, et d’une manière extrêmement violente… On en a mangé des circulaires bien pourries et ultra restrictives pour les soirées qu’on tentait d’organiser. Mais on s’est battus, tous ensemble, comme le dit si bien le slogan évoqué dans ta question, pour en arriver à ce qu’on connaît aujourd’hui.

« La musique a toujours été un moyen d’expression au pouvoir immense (…) Il y a un vrai message politique derrière. »

Selon toi, la musique est-elle justement un levier d’action ?

Bien sûr ! Mais d’une manière plus générale, quand tu n’es pas d’accord avec quelque chose, il faut le dire. Il faut s’exprimer. Dans le contexte de Tbilissi, les autorités s’en prennent à la musique, donc je trouve ça absolument cohérent que la jeunesse utilise ce moyen pour faire entendre ses revendications. On a tous des choses à dire et des convictions à défendre. Et quand ça devient insupportable, il faut savoir le dire, parfois le crier !

Historiquement, la musique a toujours été un moyen d’expression au pouvoir immense. On s’en rend compte quand on écoute des styles musicaux tels que le punk ou encore le hip-hop qui dénoncent, parfois avec virulence, le système en place. Et malgré l’aspect plutôt hédoniste de la techno, je pense qu’il faut de temps en temps pousser une bonne gueulante quand ça semble nécessaire.

Tu as déjà toi-même poussé quelques gueulantes, n’est-ce pas ?

En 2002, quand Jean-Marie Le Pen s’est invité au second tour, je travaillais avec un artiste afro-américain. Je l’avais eu au téléphone peu de temps après les résultats du scrutin  et il était vraiment dégoûté et en colère. Le Front National approchait les portes du pouvoir de plus en plus près. Je l’avais alors invité à exprimer son mécontentement au micro plutôt que de le ruminer à l’autre bout du fil. On en a fait un track, First Reaction, qui a été playlisté sur Radio Nova seulement quelques jours plus tard.

Ça me rappelle une autre anecdote lorsqu’il y avait la guerre à Sarajevo dans les années 90. J’étais à des milliers de kilomètres de chez moi, au Brésil il me semble, et j’écoutais CNN. Au journal télévisé, ils parlaient davantage d’un putain d’avion à plusieurs millions de dollars qui avait été perdu plutôt que de se soucier des centaines de milliers de personnes qui fuyaient la guerre et se retrouvaient à la rue en Bosnie-Herzégovine. Ils étaient plus choqués de leur perte matérielle et financière plutôt que de la catastrophe humaine qui se passait sous leurs yeux. Tu te rends compte un peu ? C’est à ce moment là que j’ai composé le morceau Downfall. Il retranscrit à la perfection ce que j’ai pu ressentir en découvrant ces images.

Il n’y a pas forcément besoin de parole pour s’exprimer. Tu peux utiliser la musique, sans pour autant tout expliciter. C’est ce que je décris dans mon livre Electrochoc d’ailleurs, ce n’est pas anodin de se retrouver tous ensemble à danser jusqu’au petit matin sur un dancefloor, c’est un véritable moment de communion où les corps s’expriment. Je me souviens avoir joué en Irlande à l’époque où protestants et catholiques s’en foutaient plein la gueule toute la journée. Mais une fois la nuit tombée, ils se retrouvaient tous à danser ensemble sur du son, c’était comme une trêve pour eux. Il y a un vrai message politique derrière la musique ! Combien de fois je me suis retrouvé à passer tel ou tel disque dans un pays où était survenu un évènement tragique ou révoltant ? Je ne prétends pas être un fin politicien mais quand il y a quelque chose à dire, il m’appartient de le dire.

L’an dernier, en Tunisie, un DJ international a écopé d’une sanction d’un an de prison ferme et de nombreuses insultes et menaces de mort lui ont été proférées pour avoir mixé l’appel à la prière et un morceau de musique électronique. Selon toi, est-ce que cette maladresse aurait pris autant d’ampleur si elle avait été commise par un groupe de variété ?

Je t’avoue que je n’ai pas la réponse ! Mais ça aurait été intéressant de savoir, en effet. La sanction vient-elle du fait que l’appel à la prière ait été mélangé à quelque chose considéré comme négatif, libéré ? Je ne pense vraiment pas que ce soit le premier mec à mélanger l’appel à la prière à de la musique, quelle qu’elle soit…

« La musique sur laquelle nous dansons tous, c’est la dernière vraie révolution musicale. (…) Il faut toujours réinventer les choses plutôt que de s’installer dans un confort qui freine la créativité. »

En France, certains clubs des quais de Seine ferment, la question des nuisances revient sans cesse, les warehouses sont toujours opprimées et ce malgré le fait que la scène électronique n’a jamais été aussi démocratisée. Toi qui a vécu la répression à la fin des années 90, as-tu l’impression que la scène se répète inlassablement ?

Encore une fois, la question est de sa voir si les autorités ferment-elles des clubs car on y joue de la techno ou ont-elles simplement envie de fermer des lieux ? Si l’on y jouait du hip-hop ou tout autre style de musique, ces lieux fermeraient-ils aussi ? C’est ça, vraie question. La musique électronique, techno, house, plus globalement la musique sur laquelle nous dansons tous, c’est la dernière vraie révolution musicale. Y’a rien eu de vraiment nouveau depuis.

La répression est-elle contre ce courant musical ou simplement contre des lieux ou des manifestations qui n’ont pas toutes les autorisations requises ? Est-ce politique ? Là non plus, je n’ai pas la réponse. Je ne pense pas qu’on soit réduit à une pensée si restrictive que : « on va fermer ce club car on aime pas la techno » ? J’en serais étonné car en regardant la ville de Paris, ses principaux représentants participent activement à la Techno Parade et ils en sont plutôt fiers. Anne Hidalgo y est allée cette année, Jack Lang les a beaucoup aidés. Si on regarde bien, il y a bien heureusement beaucoup de clubs qui existent et qui jouent toujours cette musique-là, depuis très longtemps. Je pense qu’il est parfois un peu facile de se placer en position de victime. Même si malheureusement, il y aura toujours des endroits qui fermeront quoi qu’il en soit et il régnera toujours une certaine répression envers le milieu. Ça, ça ne changera jamais.

D’ailleurs, un petit mot sur la récente fermeture du Batofar où tu avais notamment joué en 2002 ?

Quand le Batofar s’est installé y’a environ 20 ans à Paris, leur mot d’ordre était : « on vient avec un bateau, on s’installe, on reste 5 ans, on fait la teuf, et on se casse ». Pour la petite histoire, ça devait être un lieu de vie itinérant ! Il devait même partir à l’étranger si mes souvenirs sont bons. De toute évidence, je trouve ça absolument triste que le Batofar parte, mais ils ont quand même eu 15 ans de rab ! Pas mal, non ? (Rires) Blague à part, c’est un super endroit, j’ai adoré y jouer.

C’est toujours triste de voir s’éteindre une expérience, mais je pense que c’est aussi bien aussi quand les choses s’arrêtent à un moment. Attention, je ne dis pas ça contre le Batofar, bien au contraire ! Mais même moi qui ait eu des résidences, qui suis resté très solidaire vis-àvis de certains clubs ou associations, je pense qu’à un moment c’est toujours bien de refermer le livre. Je suis un peu fou avec ça, je suis toujours le genre de mec qui dit « si on arrêtait ça ? » alors que le projet bat son plein. Il faut toujours réinventer les choses plutôt que de s’installer dans un confort qui freine la créativité. C’est bien de se mettre en danger de temps en temps, non ?

« Je vous préviens, si vous me sortez le cliché sur la drogue pendant l’interview, je me lève et je quitte le plateau. »

Sur YouTube, on peut visionner une vidéo de toi sur le plateau de Thierry Ardisson qui te lance : « c’est vrai que la house, la techno, c’est quand même lié aux amphétamines, à l’ecstasy« . Son chroniqueur enchaîne : « quand tu es DJ, le public vient écouter une musique dont il est déjà fan« … Stop aux clichés ?

On en a bouffé pendant des années de ces clichés-là. A chaque fois qu’on était invité quelque part. Ardisson est un mec qui adore foutre la merde. Il est comme ça et je l’attendais au tournant, sans trop de surprises ! Mais je vais quand même résumer le contexte de cette vidéo : déjà, il faut savoir que j’y allais pour faire la promo de mon livre Electrochoc et je n’avais que 7 minutes de temps de parole. Ensuite, toute l’équipe était très en retard sur l’enregistrement de l’émission. Juste avant moi, il y avait Dave Gahan de Depeche Mode comme invité. Ça s’était vraiment mal passé. Et puis au bout de dix minutes d’interview, Ardisson lui sort : « alors ? tu nous expliques quand t’as fait ton overdose dans ta chambre d’hôtel ? » Tu te rends compte ? T’as un monstre du rock en face de toi et la question que tu lui poses c’est celle-là. Naturellement, Dave Gahan est monté dans les tours et tout le monde s’est pris la tête jusqu’à ce qu’il sorte du plateau. Et… c’est à ce moment là que je suis arrivé ! Grosse ambiance ! (rires)

En fait, oui, je t’avoue qu’on se prenait le cliché drogue = techno en pleine face à cette époque, quotidiennement voire systématiquement. Je me souviens avoir déjà dit à une équipe hors antenne : « je vous préviens, si vous me sortez le cliché sur la drogue pendant l’interview, je me lève et je quitte le plateau« . On en était là. Je ne me voile pas la face : je sais pertinemment que la drogue a toujours circulé dans le milieu de la nuit, il ne faut pas se mentir ! Et en l’occurrence, ce soir-là, tout le monde en avait plein le nez autour de la table. Et c’est à moi qui n’ai jamais rien pris que l’on balance ce vieux stéréotype ? (rires) Forcément, je me suis énervé car je n’étais clairement pas venu sur le plateau pour me défendre d’un cliché qui relève de la responsabilité de chacun.

Aujourd’hui, je pense que le débat est dépassé. À l’époque, ça nourrissait la presse à scandale, c’était notre quotidien. Il y avait même eu une étude parue dans un grand journal qui prétendait que la notoriété d’un DJ était corrélée à la qualité des produits qu’il vendait. C’était écrit noir sur blanc, dans la presse ! Plus loin encore, la musique électronique était diabolisée jusque dans les partis politiques. Le programme de Jean-Marie Le Pen envisageait même de couper les subventions dédiées aux musiques hip-hop et techno car elles n’étaient pas considérées comme de véritables styles musicaux…

Ces images proviennent de l’Institut National de l’Audiovisuel qui inaugurera en ta présence son tout premier festival les 8 et 9 décembre au Palais Brongniart (ndlr : depuis l’interview, le festival a été reporté au printemps). Toutefois, tu seras là en tant que « conférencier » pour apporter ton regard sur les enjeux sociaux et économiques de la production musicale. Tu peux nous en dire plus ?

D’après ce que j’ai compris, ils veulent me donner un prix. J’en suis très honoré car il y a eu 20 récompensés jusqu’à présent et la liste a de quoi faire rougir ! Je vais tout faire pour être à la hauteur, évidemment. Concernant le talk, j’ai demandé à ce qu’il y ait un journaliste car je n’aime pas parler tout seul. Je préfère lorsqu’on me pose des questions et qu’il y a un vrai débat. (Rires) J’ai plutôt hâte !

Chez Dure Vie, on organise les événements Disco Disco où l’on invite un DJ à jouer un set qui mêle disco, house, soul, funk, boogie… On a par exemple reçu Marcellus Pitmann ou encore DJ Pierre qui se sont prêtés au jeu ! Tes sets embrassent très souvent beaucoup de styles différents, mais si tu étais booké pour un special set, quel style préférerais-tu ?

Tu connais DJ Jean Bon ? C’est mon alias ! Jean Bon, il a une grosse moustache et il joue de tout sauf de la techno. Il n’aime pas trop la techno à vrai dire. Il joue essentiellement de la musique africaine, de la salsa, de la funk, du hip-hop, de la soul… Plus sérieusement, avant je jouais énormément de rock’n’roll. Je mixais à des mariages, j’enchaînais tous les styles de musique, de la valse au tango, sans soucis ! Il y a du bon dans tout. À la limite, ce qui serait intéressant, c’est de se demander ce que je n’ai jamais joué ! (Rires)

« DJ Jean Bon, c’est mon alias : il a une grosse moustache, et il joue de tout sauf de la techno. Il n’aime pas trop la techno à vrai dire. »

Partout où je vais, je trimballe en permanence tous les styles de musique possibles et imaginables sur mes clés USB… Je suis toujours prêt à dégainer. Ça ne me dérangerait pas de faire un after en set afrobeat par exemple ! J’adore casser les codes et pimenter mes sets à l’aide d’un disque au style complètement décalé par rapport à ce que je joue habituellement. Il faut surprendre son public, le prendre par la main et l’emmener autre part, avant de revenir à ce qu’il connait. Le faire voyager, simplement. Rester dans sa zone de confort, c’ est inutile, ça ne sert à rien de se répéter inlassablement au risque de s’ennuyer. Finalement, en surprenant mon public, je me surprends moi-même. Il suffit de capter toute son attention, et une fois fait, de se se demander « quel morceau je dois jouer à ce moment précis pour me connecter avec eux ? » De toute évidence, ce n’est pas un énième morceau techno qui contrastera ! Alors j’invite mon public à danser sur un morceau d’afrobeat pour lui dire : « tu sais que tu as dansé sur un track de Fela Kuti des années 70 ? » J’aime la musique avant d’aimer la techno.

D’ailleurs, en tant que DJ, tu as pour mission d’être en quête permanente des tracks qui feront vibrer ton public lors de ta prochaine prestation. Mais au fait : c’est quoi ta dernière pépite ou ton dernier dog’s bollocks comme tu aimes les appeler ?

Le dernier disque qui m’a retourné ? Le 21 décembre, Nova Mix Club me donne carte blanche au Sucre à Lyon, et j’en profite pour inviter mes coups de coeur du moment. En réalité, ça tombe à pic car je viens justement de recevoir quelques disques qui m’ont absolument ébranlé. Parmi eux figure Kmyle, qui officie notamment dans le trio Möd3rn du label Skryptöm, véritable école qui recense des artistes tous autant brillants les uns que les autres. Kmyle a cette démarche artistique qui me fait vibrer, je l’ai donc naturellement convié à rejoindre la fête!

J’ai également programmé Around7, le co-fondateur du label Ondulé Recordings aux côtés de Joss Moog et Jean Cé. Ses productions sont carrément funky, il a un groove fou. Quand j’ai écouté ses tracks, j’ai tout de suite contacté le label en demandant qui était Around7. Et c’est lui qui est revenu vers moi en se présentant. Il m’a dit qu’à l’époque il produisait des tracks plus orientés hip-hop et ça ne m’étonne pas du tout à vrai dire, ça se sent ! Bref, il est excellent et j’adore ce qu’il fait.

Récemment, j’ai également fait la découverte de R.O.S.H., un jeune artiste anglais qui produit de la techno et dont la musique respire une influence bass music. Si tu préfères, je le vois plus du côté dancefloor que hip-hop de la musique grime, tout en conservant une veine clairement UK. Il a seulement trois EPs à son actif mais putain, ce que c’est bon ! D’ailleurs, je l’ai rencontré à Londres il y a peu, on a passé environ 2 heures ensemble et ce mec me captive. Il m’a notamment fait écouter ses productions qui devraient sortir tôt ou tard. J’ai tout de suite accroché.

Aujourd’hui, je te parle de ces 3 jeunes artistes mais il y en a bien évidemment d’autres et je compte de toute évidence les présenter dans mon émission What’s Next.

On parlait d’éclectisme un peu plus haut. Finalement, quel ton rapport à la musique en général ?

Il y a beaucoup de styles musicaux différents, c’est un fait. Du coup je pense qu’il faut justement rester très curieux et ouvert d’esprit. La musique ne sonne jamais mieux que quand elle est en contraste avec une autre musique ! Si tu t’enfermes à n’écouter que de la techno ou uniquement de la house, au bout d’un moment, ça devient super monotone et… c’est chiant. Le fait de développer son oreille en écoutant des styles musicaux variés, ça permet de plus les apprécier. En tout cas, c’est ma vision des choses !

Je m’ennuie facilement si j’écoute le même style pendant trois heures. Comme je te le disais plus tôt, j’ai besoin de sortir de ma zone de confort pour mieux y revenir,  et cette révélation, je l’ai eue il y a bien longtemps. Ça devait être il y a environ 15 ans lors d’une tournée qui s’intitulait sobrement Music, avec Jeff Mills. Et le mot d’ordre de la tournée résumait à la perfection le concept : Expect the unexpected. Le but était de surprendre notre public en jouant de tout sauf de la techno ! On a joué tous les styles qui ont fait de nous qui nous sommes aujourd’hui : de la salsa à la disco, du hip-hop au jazz, de la new wave… Il y en avait vraiment pour tous les goûts. J’avoue, on mixait pendant 6h, donc on avait joué tout de même deux ou trois tracks techno. Et c’est à ce moment très précis qu’on a réalisé que la techno ne sonnait jamais aussi bien que quand elle était mise en contraste avec un style différent.

« J’ai eu la révélation de sortir de ma zone de confort il y a 15 ans lors d’une tournée avec Jeff Mills. »

Aujourd’hui, on a parfois tendance à se perdre à ne jouer que de la techno. Je vais conclure en disant tout simplement qu’il ne faut jamais se restreindre et qu’il faut arrêter de s’enfermer dans des pseudos familles à la con. Voilà, c’est dit ! (Rires)

On parlait du petit écran mais qu’en est-il du grand ? Où en est ton film ?

Figure-toi que ça devient très concret ! On est en passe de signer le film en Angleterre. Je n’ai pas été fichu de le signer en France ! (Rires) Ou personne n’a osé prendre le risque ici ? Je laisse le bénéfice du doute. Quoiqu’il en soit, je suis parti de l’autre côté de la Manche et certains personnages qui devaient être français sont alors devenus anglais, belges ou allemands. En tout cas, ils devraient parler anglais désormais ! On a adapté le scénario.

© Richard Bellia

Pourquoi ton film n’a pas pu se faire en France ?

Certaines personnes ne semblaient pas trop avoir le goût du risque. Ça fait environ 12 ans que je travaille sur ce film et si j’ai bien appris une chose, c’est que tout peut se casser la gueule d’un moment à l’autre. C’est dommage ! Mais il faut savoir se relever. C’est un vrai château de cartes. On était censés tourner au mois de juin de l’été dernier, mais de fil en aiguilles… Le distributeur français avec qui nous étions en contact a fait faillite. On a dû repousser la date de tournage. Sauf que notre acteur principal, qui à ce stade du projet n’était autre que Nekfeu, avait des contraintes de planning et ne pouvait pas assurer le tournage ultérieurement. Nekfeu s’étant désengagé, Canal + a suivi et nous a lâché. C’est l’effet boule de neige ! On a pris le temps de réfléchir et de se reconstruire autour d’un nouveau scénario. Chaque coup de crayon le rend plus fort, plus cohérent. Et j’y crois. Il faut y croire, tu n’as pas le choix.

Donc cette fois, c’est la bonne !

J’espère, mais comme on dit souvent : il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ! Du moment où l’on a pas terminé la phase de financement et où l’on n’a pas prononcé les mots magiques « moteur, ça tourne« , il faut rester sur ses gardes. Mais j’ai l’impression que les étoiles sont en train de s’aligner grâce à l’Angleterre.

Ça me fait penser à 30 ans en arrière, quand on débarquait en France avec une musique complètement nouvelle. Les gens nous regardaient en faisant des gros yeux, limite à se demander « ils sont sérieux ?« . On nous claquait la porte au nez en arguant que cette musique n’était pas faite pour la France. Et bien aujourd’hui, je retrouve un peu ça avec le cinéma. En plus, on a pour projet de réaliser un documentaire en parallèle du film pour montrer aux spectateurs le cheminement du projet, ce qui a eu le don d’effrayer les boîtes de production de l’hexagone. Ici, ils n’ont pas du tout la même vision à 360 degrés que peuvent avoir les anglais. Quand j’ai débarqué avec mon film en Angleterre, le type a tout de suite accueilli mon projet avec un vif intérêt et un grand engouement. Ils sont peut-être plus aptes à sortir de leur zone de confort, plus aventureux…

« Mon film raconte une amitié naissante entre deux personnes, avec comme toile de fond le milieu de la musique électronique. »

D’ailleurs, tu peux nous en dire plus sur le scénario ?

En toute modestie je pense que l’on tient un très joli film ! C’est l’histoire d’un mec qui part en Angleterre et qui va se lier d’amitié puis commencer à travailler avec une nouvelle rencontre. Il y a forcément quelques similitudes avec mon parcours car j’y ai mis de ma personne, mais ce n’est pas du tout autobiographique. C’est une fiction. Et ce n’est pas un film conçu dans le but de raconter l’histoire de la techno. C’est un film sur une amitié naissante entre deux personnes, avec comme toile de fond le milieu de la musique électronique.

Tu seras le maître de cérémonie de l’une des soirées du Nancy Jazz Pulsations le 19 octobre prochain. Tu t’y es d’ailleurs déjà produit !

Exactement ! J’avais réalisé une performance live. Pour la petite anecdote, c’est le tout premier soir où Philippe Nadeau, le saxophoniste qui se cache derrière The Man With The Red Face, a joué avec nous. Je n’oublierai jamais cette soirée où je me suis beaucoup amusé. On jouait le soir du passage à l’heure d’hiver, et à l’époque, les ordinateurs n’étaient pas ceux que nous connaissons aujourd’hui. En plein milieu du concert, tout s’est arrêté ! On était dans la grande salle et il y avait environ 6000 personnes devant nous. Je me précipite vers mon ordinateur et lis le message qu’il avait décidé d’afficher au public : « l’heure vient de changer, voulez-vous valider ? » J’ai prévenu le public : « écoutez, je vais cliquer mais je n’ai aucune idée de ce qui va se produire« . J’ai cliqué, et tout a repris là où ça s’était arrêté ! (Rires)

J’ai aussi le souvenir de Philippe qui jouait ce soir-là sur un saxophone électronique avec un câble d’une longueur de… deux mètres ! C’était un peu pathétique voire ridicule mais on s’est fendus la gueule. C’était ma première fois au Nancy Jazz Pulsations !

Tu as le projet de refaire du live un jour ?

C’est marrant que tu me poses cette question car mon agent m’a posé exactement la même question aujourd’hui ! Je t’avoue qu’une fois le film terminé, je pourrai enfin sérieusement me pencher sur la question. Même si ça me traverse quelques fois l’esprit, j’avoue… J’ai longtemps joué en live aux côtés de mes amis Scan X et Benjamin Rippert sous notre alias commun L.B.S.

C’est un luxe de pouvoir fabriquer de la musique sur scène, la modeler selon ses inspirations, l’inventer de A à Z et sans contraintes de temps. Tu peux créer un morceau de 20 minutes si tu en as l’envie, et ça, c’est magique. Mais j’ai cette frustration qui me laisse penser que je n’ai jamais été capable de retransmettre en live tout ce que j’avais à dire. Pourtant, j’en ai fait pendant 15 voire 20 ans… Peut-être un jour ? J’ai 52 ans, et quand le film sera terminé d’ici 2-3 ans je retrouverai peut-être cette envie de me produire en live. Tout comme il est possible que je préfère me retrouver derrière les platines, car mon vrai métier, c’est avant tout DJ.

20 ans après que tu aies reçu une Victoire de la Musique, Arnaud Rebotini a remporté un César pour la BO de 120 battements par minute. On peut affirmer que les mentalités avancent ?

Évidemment que les mentalités avancent sinon l’État ne m’aurait jamais filé une légion d’honneur ! (Rires) Plus sérieusement, il ne faut pas oublier que le contexte était très tendu l’année de ces Victoires de la Musique. Il y avait une répression parfois très dure envers la techno. Et pourtant, c’est l’année de la première Techno Parade à Paris, l’année où on nous laisse les clés de l’Olympia pour s’y produire. Oui, je crois que c’était une année charnière pour la culture électronique. Même si parfois, je me demande s’ils m’ont fait gagner moi, Laurent Garnier, ou s’ils ont fait gagner un mouvement que je pouvais, avec d’autres, incarner à ce moment-là.

C’est intéressant d’analyser ma légion d’honneur. J’en suis très fier mais je me demande parfois comment un pays qui a pu faire passer autant de circulaires répressives contre ce mouvement peut me remercier en me confiant une légion d’honneur, 20 ans plus tard ? Oui, c’est peut-être une preuve que les mentalités évoluent. Je suis très fier d’y contribuer. Je conclurai simplement en ajoutant qu’il ne faut jamais cesser de croire en ses rêves, même les plus fous.

Un grand merci à Laurent et au Nancy Jazz Pulsations. 

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