La DJ parisienne Roni, résidente de la webradio Rinse France, lance son nouveau label Nehza Records. Avec un premier EP 5 titres signé du producteur français Neida, le label s’inspire du dancefloor, de la culture rave des années 90 et des préoccupations actuelles pour le climat en offrant une vision décomplexée et engagée des musiques électroniques. Rencontre.
Comment s’est passé le processus de création de Nehza Records ?
J’ai commencé à sortir très jeune en club, dès mes 13/14ans. J’ai vite découvert la culture des labels, et cette idée d’être curateur, de reveler des artistes c’est quelque chose qui m’a toujours fasciné. J’ai énormément d’admiration pour les personnes qui exercent ce métier, ce sont souvent des personnes extrêmement curieuses, qui aiment prendre des risques. Avoir un label est une idée que j’ai en tête depuis de nombreuses années, mais que j’avais aussi très peur de réaliser.
Grâce à ma résidence sur Rinse France, j’ai commencé à me sentir plus à l’aise. Après un gig avec Private Persons à Corsica Studios à Londres, Asquith m’a dit qu’il aimerait m’inclure dans un programme de mentoring – ce qui s’est fait quelques mois plus tard. On échangeait régulièrement sur plein de sujets et lorsque je lui ai dit que je songeais à monter mon label, il m’a tout de suite encouragé. Je lui ai fait écouter les démos de Neida pour qui j’avais eu un coup de coeur et deux autres artistes, et il s’est proposé de faire la distribution.
Il fallait que je trouve un nom, quelque chose des symboliquement fort pour moi. J’ai choisi de m’inspirer d’un film d’animation chinois que je regardais en boucle étant enfant ‘Le prince Nezha triomphe du roi dragon’ de Wang Schuchen. Nehza est non seulement un nom que je trouve magnifique proche en sonorité de ma culture malaysienne, mais c’est aussi l’histoire d’un prince (qui ressemble à une fille) et qui renverse l’ordre social pour rétablir la paix dans le monde. Tout dans ce film est inspirant de la symbolique, au dessin en passant par la musique.
Étant proche d’Assembler Code, c’est tout naturellement que je lui ai demandé de s’occuper du mastering. J’ai une confiance absolue en lui. Trouver la bonne personne pour la direction artistique a été je pense ce qui m’a pris le plus de temps. Puis une amie m’a fait rencontrer Alice Gavin, artiste associée au Ballet National de Marseille, qui a tout de suite compris le projet et a su vraiment l’emmener dans la bonne direction en mêlant folie et élégance. Ça a été un match parfait.
Pourquoi Neida comme premier artiste ? Est-ce important pour toi de promouvoir la scène française ?
J’étais en vacances en juin dernier dans le sud de la France, et en diggant je suis tombée sur un EP sorti sur Le Ciel records, ‘Orchid’. C’était un EP de Neida, j’ai beaucoup aimé et j’ai tenté de le joindre alors qu’on ne se connaissait pas pour savoir s’il avait des morceaux unsigned à me faire écouter. Il m’a répondu que non mais qu’il pouvait composer et m’a envoyé très rapidement les 5 morceaux de l’EP.
J’ai un lien très fort avec la scène musicale anglaise et ses influences. Quand j’ai commencé à jouer j’ai tout de suite eu envie de faire un pont entre leur scène et la notre, car j’avais envie d’exprimer l’influence qu’elle a eu sur moi.
Neida est français mais sa musique et sa vision ont connecté avec la mienne. Dans le choix des artistes, j’ai contacté volontairement des artistes français et étrangers car cela fait sens avec ma personnalité. Il y a beaucoup d’acteurs qui mettent en valeur la scène française, ils le font extrêmement bien et sûrement mieux que moi. Moi mon truc, c’est plutôt de connecter avec l’étranger et de me nourrir d’échanges culturels. Bien que je rêverais de signer des femmes françaises ou malaysiennes! J’ai grandi avec une mère à l’autre bout du globe, c’est naturel pour moi d’avoir des liens forts avec d’autres territoires.
Signer Neida comme premier artiste, c’est tout simplement parce qu’il a été le premier à m’envoyer des morceaux qui m’ont particulièrement touchés. Il a brillé par son talent! Et je suis fière de porter un artiste français aussi talentueux comme première sortie. Les prochains sont Russes, Egyptiens, Anglais. Pas de frontière chez Nehza Records.
Les thématiques de la culture rave des années 90 et l’écologie font partie de ton champ d’action, ce sont des mouvements qui t’inspirent particulièrement ? Quelle est la vision du label ?
Musicalement, l’inspiration principale est la dance music. J’ai toujours été à 2000% une fille du dancefloor. Celle qui passe la nuit devant le DJ booth à danser jusqu’à la fermeture, j’allais même régulièrement seule en club. Il est donc évident que la musique que j’ai envie de porter soit celle-ci.
Quand j’ai découvert l’arrivée des musiques électroniques en Angleterre, puis la manière dont elle s’est mélangé aux cultures jamaïcaines ect, leur sens de libération et leur ouverture d’esprit, ça m’a subjuguée. La musique que je joue s’inspire de tout ça, et du mélange des genres, de la house, de techno, et de la jungle.
J’ai aussi toute une partie de moi extrêmement connectée à la nature, j’ai besoin de me sentir proche des éléments. Je suis hypersensible et ces dernières années j’ai commencé à ressentir de l’éco-anxiété. On vit une crise climatique sans précédent qui menace notre futur. Pour ce projet, il était hyper important qu’il serve cette cause. L’État est trop lent sur le sujet de l’écologie et ne prend pas assez de mesures. La seule solution si l’on veut que les choses changent, c’est d’agir soit même. Je pense que la normalité désormais c’est qu’on remette en cause nos modes de consommations, et qu’on se rééduque surtout quand il s’agit de projets professionnels.
Faire tout ça pour moi, c’est aussi reprendre du pouvoir sur ma vie de tous les jours et sur ma relation au monde. C’est comme aller en thérapie et accepter qu’on nous a transmis des choses qui n’étaient pas les bonnes manières de faire. C’est reconnecter à qui on est vraiment. La question qui me revient sans cesse en tête, c’est comment créer sans détruire ? C’est une vraie question extrêmement difficile à mettre en pratique. Faire sa part, à son échelle, avec ses moyens.
J’ai décidé de travailler avec Deep Grooves pour une fabrication la moins polluante possible puisqu’on sait que la production de vinyle comme presque tout est polluante. Je pense que notre lien quotidien à la nature est aussi extrêmement important. On oublie tellement ce qu’elle nous apporte. On est de plus en plus dans le virtuel alors que le futur se joue dans le réel. Quand j’ai rencontré Alice Gavin, je lui ai dit que je voulais que la direction artistique du label tourne autour de ces questions. On a réfléchit autour du fun et de la magie de la nature parce que tout ça n’est pas que chiant. On a discuté de l’euphorie qui grâce à son génie s’est personnifié en champignons avec une typo qui joue avec notre vision/ perception. Les visuels des deux prochaines sorties sont tout aussi incroyables. C’est un plaisir absolu de travailler avec elle, elle est brillante.

Est-ce important pour toi de poursuivre ta relation avec la musique grâce à ce nouveau label à l’heure où le retour au dancefloor est toujours suspendu ?
J’aurai toujours une relation avec la musique, qu’elle soit publique ou privée. Ça fait partie de ma vie, impossible de faire sans. Monter un label c’est bien sur une manière de m’investir de façon plus profonde et active dans la scène. Ici il ne s’agit plus de moi, mais de faire vivre des projets.
Continuer à faire vivre la musique de club alors que tout est fermé est presque devenu un acte de résistance et je suis heureuse de me joindre à toutes les initiatives qui se créent depuis le début de cette crise. Les dancefloors, c’est ce qui me manque le plus. On a tourné un clip la semaine dernière sur le titre ‘DSO‘. Une des scènes est une rave qu’on a shooté aux Caves Lechapelais (on a bien évidemment demandé a tout le monde de se tester avant pour des raisons de sécurité), j’ai improvisé un mini dancefloor pendant qu’il montaient le décor pour ‘chauffer’ les gens, la pièce était électrique, tout le monde était surexcité, il s’est dégagé tout de suite une énergie incroyable de cette scène.
J’ai réalisé que ce genre de projet n’était pas seulement important pour moi mais pour tout le monde. Continuer à faire ça, c’est partager de l’espoir, des émotions et garder ces mouvements en vie. Bien que je pense qu’ils ne disparaitront jamais, mais c’est du soutien dans une période de détresse comme celle qu’on vit. La culture rave vient d’un mouvement politique de résistance, de liberté et d’expression, il nous inspire aujourd’hui alors qu’on vit les mêmes formes d’interdictions (liés à d’autres raisons).
Quels projets pour la suite du label ?
J’aimerais déjà que cette sortie puisse vivre sur un dancefloor ! Hespermen a joué ‘DSO‘ et ‘Bull à Mutabor‘ à Moscou il y a quelque semaines. Il m’a envoyé des vidéos. Voir un dancefloor en feu à 4h du matin sans masque danser sur Neida m’a redonné espoir (et quelques larmes)! J’ai envie de faire tellement de choses ! Si je m’écoutais, je sortirais un EP par mois.
J’ai reçu beaucoup de soutien ce qui est très encourageant. Le prochain EP est un projet de Rnbws, un artiste Russe que j’adore et qui va explorer un aspect plus électro de Nehza Records. C’est prévu pour juin a priori, si tout va bien. Tout est une histoire de financement qui en cette période peut être compliquée.
Ensuite, je travaille sur une compilation digitale que j’aimerais sortir en septembre où il y aura plus de liberté dans les genres. J’adore passer d’un style à un autre, je vais pouvoir m’amuser là-dessus. Ce qu’il me manque ce sont des artistes femmes ! Puis j’ai d’autres sorties d’artistes Français, Anglais et Egyptiens en préparation. Je garde le mystère pour l’instant.
L’idée, c’est de prendre du plaisir à porter cette musique et d’essayer de récolter des financements pour des associations de protection de l’environnement. C’est le but à terme. Et pourquoi pas des soirées IRL quand on pourra !
Le premier EP de Neida est disponible sur Bandcamp. Vous pouvez suivre Nehza Records sur Facebook et Soundcloud.
