À l’occasion de la sortie de son tout premier EP solo Drums Circle, Tushen Raï a pris le temps de répondre à nos questions. Armé de sa bonne humeur communicative, le DJ et producteur revient sur son histoire au peigne fin, des locaux de Nova Lyon jusqu’au calendrier des sorties de Cracki.

Tu sors aujourd’hui ton premier EP solo sur Cracki Records, qu’est-ce que ça représente pour toi ? 

C’est un disque auquel je tiens beaucoup car j’ai mis très longtemps à assumer le fait de faire de la musique, de mixer, et encore plus de produire. Il a fallu que mon ami Cornelius Doctor me pousse au studio pour que je m’y colle et que je mette finalement mon nom sur deux EPs en collaboration avec lui. Je ne pensais jamais sortir un disque en solo, j’ai toujours été le « digger » du duo, celui qui ramène du sample, des idées, mais pas le technicien. Je bidouillais des trucs chez moi, des édits pour mes sets par exemple, mais ça n’avait pas vocation à sortir.

En juin 2020 je reçois un coup de téléphone d’un numéro inconnu alors que je partais en randonnée dans les Alpes avec des potes : Donatien de Cracki Records, que je ne connaissais pas vraiment, m’a proposé de faire ce disque. Ça m’a tellement touché, que j’ai directement accepté ! 
Drums Circle est un disque d’apprentissage, j’ai pu profiter du ralentissement brutal de nos vies pendant la crise sanitaire pour m’y consacrer pleinement, m’équiper, et perfectionner mes techniques de mix et de production.

C’est un disque qui me ressemble car il est à la fois hyper bordélique et en même temps vachement sensé. Drums Circle c’est un peu comme cette chaise de ton arrière grand-mère qui ne paie pas de mine, qui semble complètement bricolée et branlante, mais qui tient la route depuis un siècle et dont tu ne te séparerais pour rien au monde parce qu’elle est spéciale à tes yeux. C’est un premier solo quoi ! Côté musique, parce que j’imagine que c’était le sujet, j’ai travaillé sur mes inspirations acid house, le côté plus « solaire » de ma musique, tout en gardant un côté assez weird, acid, percussif et psychedelic. J’aurais aimé savoir ce qu’Andrew Weatherall, mon mentor et ma figure tutélaire dans l’histoire des musiques électroniques, aurait pensé de cet EP. La musique d’Andrew incarnait à mes yeux la fougue et la singularité que je souhaitais mettre dans ce disque. 

D’où te viennent ces inspirations indie/orientales et comment tu les mêles aux musiques électroniques ? 

Je suis vraiment arrivé dans la musique très tôt, mais pas du tout par le prisme des musiques électroniques. Durant mon adolescence le courant dominant c’était la French Touch et je ne m’y retrouvais pas du tout. C’était trop « bling bling » à mes yeux et je préférais écouter du dub, du rockstady, du punk et du rap hardcore.

Très vite, je me suis intéressé à l’histoire de la musique, que j’ai finalement étudié une fois adulte à l’université. Ça m’a ouvert plein de portes, notamment sur les musique traditionnelles et plus précisément les musiques rituelles qui faisaient le trait d’union entre ma passion pour la musique et l’anthropologie. Tout ça m’a amené à passer tout l’argent de mes petits boulots étudiant dans des disques, et notamment des disques de musique trad ou de field recording de musées d’anthropologie et d’archives nationales. 

C’est finalement les musiques trad et communautaires qui m’ont amenées à écouter de la musique électronique. En fouillant dans des bacs j’ai fini par découvrir des tracks comme Galvanize des Chemical Brothers ou le remix de Carl Craig d’un morceau de Cesaria Evora. Je me suis surtout rendu compte que les musiques électroniques étaient un terrain de jeu idéal pour mes recherches sonores. En découvrant des artistes comme Khidja, Mehmet Aslan, Principe Disco, J.A.K.A.M, j’ai commencé à connecter avec une scène très globalisé et souvent très solidaire, et ça m’a donné envie de monter Hard Fist records avec Guillaume.

Sur le label, on a sorti des artistes de tous les continents, d’énormément de pays différents et de cultures variées. Chaque sortie du label a nourri mes connaissances et ma curiosité. Il existe tellement de mouvements rythmiques à travers le monde, de possibilités d’accordages, d’harmonies, tellement d’instruments, tellement de timbres, de sons, comment enfermer sa créativité dans les gammes occidentales majeures et mineures ou dans des constructions rythmiques 4/4 ? 

Évidemment, ce ne sont pas mes cultures, je n’en revendique absolument aucune appartenance, et donc aucune légitimité, je suis simplement un élève passionné, qui s’enrichit intellectuellement de toutes les cultures et savoirs pour chaque jour ouvrir un peu plus mon esprit sur le monde. Je conseille à tout le monde de faire la même chose, c’est un bon médicament contre la peur de l’autre et le renfermement sur soi.  

Cornelius Doctor, co-owner de votre label Hard Fist figure sur ton EP, c’était important pour toi de le faire apparaître en temps que remixer ? 

Évidemment ! Si je n’avais pas rencontré Cornelius Doctor, je n’aurais peut-être jamais produit, peut-être même jamais vraiment mixé sérieusement non plus. On s’est connu en partageant une émission sur Nova Lyon et on a appris à se connaître et à partager nos visions du monde. En 5 ans on a monté un label, sorti 15 disques, produit 2 EPs et un tas d’originaux pour des compilations. On a aussi joué dans une vingtaine de pays différents, on a rencontré des milliers de gens… 

Est-ce que les deux casquettes que tu portes (DA et producteur/DJ) sont complémentaires ? 

Évidemment ! Les rencontres qui m’ont amenées à faire mon travail de DA avec le label ou en programmant des événements, des festivals, des soirées, ont énormément nourri mon travail de producteur. Les rencontres humaines sont au cœur de mon processus artistique. Même si je produis une musique de danse, une musique de club, elle contient toujours une grande part narrative, un travail de mémoire, parfois nostalgique, sur mes rencontres et mes expériences en lien avec la musique.

Aujourd’hui, c’est un cercle vertueux, mon travail de producteur et Dj m’a amené à jouer dans beaucoup de pays sur plusieurs continents, et donc à découvrir de l’intérieur de nouvelles cultures et de nouvelles scènes. Que ça soit au Mexique, en Jordanie, en Lituanie, en Palestine, au Pérou, etc… Chaque date dans un nouveau pays est une opportunité de se connecter avec les acteurs de ce territoire, de découvrir de nouveaux artistes talentueux, de cartographier une scène de l’intérieur.

Comment envisages-tu l’après Drums Circle ?

Je vais déjà me concentrer sur ce disque et j’espère avoir l’occasion de le faire vivre le plus possible et le faire exister auprès du plus grand nombre. En parallèle, beaucoup de sorties sont à venir. Tout sort d’un coup, c’est un peu bizarre, mais ça fait plaisir de voir sa musique pressée sur vinyle, ce format qui m’a tant obsédé plus jeune. 

Ensuite je vais me concentrer sur mon 3ème EP en duo avec Cornelius, ça sortira chez Permanent Vacation, un label que l’on respecte énormément et pour lequel on est honoré de bosser. On s’est prévu du temps pour bosser dessus d’ici la fin d’année et je suis super excité de retourner en studio. 

Écouter Drums Circle ici.

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