Cheminot le jour, dj la nuit : on s’est entretenus avec le boss du label Plaisir Partagé, le spectaculaire amateur de synth pop belge et disco libanaise (comme il le dit lui-même), Master Phil. « Producteur gros cigare » et brocanteur de l’extrême. Entretien au sommet.
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Parlons un peu de ton label Plaisir Partagé, pourquoi ce nom ?
J’ai créé ce label il y a un an et demi. À la base j’avais un collectif, Night and Day, ça n’a pas trop marché. On était deux : je m’occupais des soirées et mon pote était plus dans la tech house et la techno. Il y avait un grand écart. Puis j’ai rencontré Allan, Shelter. On a commencé à faire de la musique et il avait des tracks à sortir, donc c’est venu comme ça.
Le nom, « Plaisir Partagé » est arrivé très bizarrement. Je cherchais un nom de label, un truc un peu français mais pas trop. Un jour j’ai dit à une pote que c’était cool de la revoir, elle m’a dit « plaisir partagé » et c’est resté. Ça fait un peu référence à la musique qui est un plaisir partagé. On me dit souvent que c’est en rapport avec le sexe, mais pas vraiment (rires). Ça à un côté très balearic.
On va bientôt sortir des nouveaux trucs : de la Hi NRG politique et du zouk arabisant.
« J’ai toujours aimé acheter des édits parce que c’est cool et pas cher »
Il y a une majorité d’édits sur le catalogue. C’était prévu de sortir que des édits ou pas du tout ?
Pas du tout. Au départ j’avais que des édits parce que c’est plus facile à trouver et plus facile à faire.
J’avais un peu peur d’être catégorisé comme un label d’édits, voilà pourquoi on les a nommé « Edits du plaisir » pour les départager. Moi c’est vrai que j’ai toujours aimé acheter des édits parce que c’est cool, parce que c’est pas cher, avec des morceaux parfois mieux arrangés et qui valent une blinde de base. C’est assez dj friendly, c’est un peu cheap mais sympa à avoir. J’ai été influencé par Macadam Mambo mais aussi par Todd Terje. Et donc je voulais faire ça, faire quelque chose d’abordable. Un truc qui sonne vieux mais un peu arrangé, tout en restant respectueux de l’original.
Tu avais un univers, une ligne artistique en tête en créant le label ?
Je n’en voulais pas trop, mais on peut dire que la ligne directrice c’était le balearic, quelque chose naviguant entre la house et la disco et des choses qui me plaisent tout en restant dans un spectre large.
« Le balearic (…) ce n’est pas vraiment un style, c’est une ambiance. »
Peux-tu expliquer ce qu’est le baelaric pour quelqu’un qui ne saurait pas ce que c’est ?
C’est très difficile à expliquer. Ce n’est pas vraiment un style, ça peut être de la house, de la disco, de l’ambiant… c’est une ambiance. Ça fait référence à un côté un peu plage. En gros le Ibiza des années 80, pas 90, le Ibiza soft rock. Du coup sur le label c’est du balearic plutôt house, même un peu disco. Donc même si ce qui sort est assez différent, j’essaie de garder une certaine cohérence entre les disques. Même si j’aimerais sortir des trucs de techno chelou. Mais après on s’y perd, les gens s’y perdent.
Sur les macarons de ton label, il y a écrit « producteur gros cigare » : quels challenges as-tu rencontré avec cette nouvelle casquette ?
Ça n’a pas toujours été un rêve de gosse, mais pas loin. Quand j’étais au lycée, ça me faisait un peu fantasmer d’être un producteur « exécutif », un petit Eddy Barclay. C’est surtout quand j’ai commencé à écouté Ed Banger : Pedro Winter a été une grosse influence dans tout ce qui est management. Après je peux citer aussi Gilb’R , Judah de BFDM, Zaltan..
J’ai 21 ans, j’ai commencé à mixer il y a trois ans. Et comme je commençais à travailler je me suis dit que j’étais un peu libre de faire ce que je veux. C’est dur car il faut trouver beaucoup de gens, des artistes etc… Mais aussi parce que quand t’es DJ, c’est difficile de se faire remarquer. On est 10.000 à Paris, eh bien, si t’es pas producteur de musique, le mieux c’est vraiment d’être un label manager.
« Producteur gros cigare », c’est venu de la chanson « La Bamba Triste » de Pierre Billon. C’est une chanson un peu absurde où il dit « j’me sens comme un producteur gros cigare qui lit le score à l’envers »… Du coup, c’est devenu une blague. En soirée, quand je rencontre quelqu’un qui fait de la musique, je lui dis « viens on signe un contrat ». Avec Shelter, on a fait un contrat en soirée, je l’ai poussé à sortir sa track et il était un peu hésitant… C’est vrai que c’est rigolo à mon âge d’être ça, mais c’est vrai que c’est aussi très difficile. Mais j’aime bien cette casquette pour l’instant.
« Quand on me demande ce que je joue, je réponds « musique émotionnelle ». Depuis très longtemps, je suis passionné par toutes les musiques qui créent une émotion. »
Comment définirais-tu ton univers musical à quelqu’un qui ne te connait pas ?
Depuis quelques temps, quand on me demande ce que je joue (ce qui m’énerve car je sais pas trop comment répondre), je réponds « musique émotionnelle ». Depuis très longtemps je suis passionné par toutes les musiques qui créent une émotion. Je crois que Daft Punk avait justement dit dans une interview que le but de leur musique était de créer une émotion.
Il y a beaucoup de morceaux, des notes de synthés ou de refrains qui créent des émotions, que ce soit un frisson dans les bras ou qu’on se sente tomber d’un coup. Je viens du rock, mais j’ai aussi baigné dans la disco grâce ma mère, la disco Nostalgie, grand public, mais les éléments sonores restent. J’aime bien jouer « Dr Beat » de Miami Sound Machine qui est un gros classique.
Mais la disco me fait penser à mon enfance et je crois que c’est pareil pour les gens. Donc j’ai commencé à écouter de la disco, puis Ed Banger, mais ce que j’écoute est très large du jazz à la synthpop belge au boogie japonais en passant par la disco libanaise.
Je joue que des choses qui me font vraiment tripper, j’aime beaucoup le french boogie mais je passe aussi beaucoup de house, surtout de la proto-house, de zouk…
Je suis par contre très compliqué niveau techno. Je veux que la musique dégage une émotion même dans la disco mais je n’aime pas trop quand c’est trop « violon » non plus. J’essaye de ne pas avoir de barrières, sinon c’est passer à côté de belles choses. Les gens se mettent beaucoup de barrières, c’est dommage il faut aller piocher partout. Mes mix les « Lovelys Sundays » résument bien mon univers.
Quel est ton rapport avec la musique électronique qui se fait actuellement, avec les nouvelles vagues de producteurs et la nouvelle esthétique qu’elle entraine ?
Il y a beaucoup de labels qui se créent et qui meurent en même temps. Je ne suis pas très sensible de ce qui se fait à Paris, à Concrète ou ce genre de choses, mais c’est super d’avoir des lieux comme ça. Sinon il y a des lieux comme La Java, qui a une programmation très atypique.
Et je trouve qu’il y a une scène qui commence à se créer même au delà de Paris, en Europe. Je trouve ça super que des mecs comme les Pilotwings, qui ont sorti un super album récemment, avec une culture aussi large visent un public aussi large.
Je suis un peu en retrait de ce qu’il se passe à paris. J’ai un crew qui est un basé à l’International Records, des mecs comme Bruits de la Passion qui sont un peu des nouveaux hippies. Ils ont organisé la zone disco autonome, une sorte de camp cosmique français. Ca m’intéresse beaucoup cette idée de faire des soirées dans des lieux atypiques. Notre crew est plutôt influencé pas des djs comme Vidal Benjamin, comme Zaltan qui ne sont donc pas si vieux ou même par des djs aux styles completement différents comme Jan Melnick ou Pépé Del Noche qui ont mixé dans les 90’s. Mais c’est super car il y a un renouveau beaucoup de disques qui sortent, de jeunes qui s’y intéressent, à la disco, à la musique électronique. Et je trouve que beaucoup de choses très intéressantes se font, je pense et j’espère que ça va continuer. Comme le label Antinote qui est très varié et qui touche tout le monde, dans le shop on vendait autant de Syracuse que de Christine and the Queens.
« Un ami nous avait appelé les « balearic kids ». J’aime que tout le monde puisse venir à mes soirées, qu’elles soient poly-culturelles (…) Il ne faut plus qu’il y ait de barrières, que même un mec en jogging puisse rentrer puisqu’après tout on s’en fout, la musique est pour tout le monde. »
Tu cites des genres très précis, tu as un entourage assez resserré. As-tu l’impression de faire partie d’une micro scène locale ?
Apiento, un ami qui venait beaucoup au magasin, nous avaient appelé les « balearics kids ». J’avais trouvé le nom assez rigolo puisqu’on est des jeunes entre 20 et 30 ans qui font des teufs et sortent des disques. C’est vrai qu’il y a une sorte de sous-scène qui s’est créée, mais très petite, et qui touche des gens qui sont conscients de ce qu’on fait. Même si n’importe qui peut se plaire à nos soirées, si on reste bloqués dans un genre, on peut vite s’y perdre.
Mais c’est aussi une scène de gens plus âgés qui nous influencent et qui ont une grande culture. J’aime beaucoup car on est entre nous, mais les gens commencent à venir petit à petit. La porte est ouverte.
Tu penses que c’est un avantage de faire un pont entre les genres ? Que ça peut attirer un public plus large et non-averti qui pourrait être rebuté des soirées qui seraient focalisées uniquement sur la musique électronique ?
Effectivement. Je pense que quand tu vas dans une soirée techno, il faut être un minimum averti. J’aime pas trop quand la soirée est mono-style, si on me met de la disco pendant 4 heures, je vomis. Même s’il y a des exceptions, comme quand j’étais allé voir Vidal Benjamin au Baron il y a trois ans quand je ne le connaissais pas encore. C’était une soirée only french boogie et je me suis pris une claque. Tout était bien.
Après, le fait de mixer pleins de choses différentes, si tu les amènes bien, font que les gens s’y retrouvent, ils ne s’embêtent pas. Ils vont pouvoir voyager et passer par pleins de choses différentes. Et c’est pour ça qu’il faut toujours jouer un classique dans un set, c’est cool pour le dj, ça fait danser et accrocher les gens et la suite de ton set.
J’aime aussi que tout le monde puisse venir à mes soirées, qu’elles soient poly-culturelles. C’est important que les soirées spécifiques comme les soirées gays par exemple perdurent, mais j’aimerais qu’on puisse se mélanger encore plus. C’est ce que j’aime à La Java : qu’il y ait plusieurs publics qui se rencontrent. Car même si les choses évoluent, on reste trop fermés d’esprit malheureusement… Il ne faut plus qu’il y ait de barrières, que même un mec en jogging puisse rentrer puisqu’après tout on s’en fout, la musique est pour tout le monde.
Si t’avais pas bossé dans la musique t’aurais fait quoi ?
J’aurais bossé à la SNCF (rires). Non, plus sérieusement, dans le cinéma. J’ai adoré faire un clip pour le label. J’ai toujours été fasciné par le cinéma, j’ai d’ailleurs fait du théâtre et il y a un énorme rapport entre le cinéma et la musique.
J’ai toujours voulu être réalisateur, même acteur. Ça se remarque quand je joue, je suis un peu foufou, je chante, etc. J’aime faire l’andouille, les gens aiment bien ça, ça rend le truc plus marrant de faire du synthé, de la guitare, de chanter… J’aurais fais quelque chose d’artistique en tout cas. Si l’art n’existait pas, j’existerais pas non plus, enfin je n’existerais plus.
« C’est cool de represser et de relancer la production, mais ça fait de la concurrence déloyale aux disquaires indépendants qui font un travail assez dingue. C’est la loi du plus fort. »
Que penses-tu du fait que Sony se relance dans la production de vinyles ?
Le problème de faire ça, c’est qu’ils passent par MPO qui est la plus grosse usine en Europe et par laquelle on passe tous. Et comme ils sont prioritaires (parce qu ils produisent de grandes quantités), ça nous fait passer derrière et prendre du retard.
Le problème est aussi que ça profite plus à la Fnac qu’aux disquaires indépendants, on dirait que Sony veut tuer ce côté indépendant qui est responsable de ce renouveau. C’est un peu malsain, car c’est tuer celui qui te sauve. Ça fait un peu peur les majors, c’est remplit de gens qui ont des comptes Spotify et qui vont voir des concerts de rock indépendants. Ça fait pas bander du tout.
C’est cool de represser et de relancer la production, mais ça fait de la concurrence déloyale aux disquaires indépendants qui font un travail assez dingue. C’est la loi du plus fort, quand les disques à la Fnac sont à 15 euros les disquaires prennent de moins en moins de nouveautés pop parce que c’est pas rentable pour eux. Ils ne se font quasiment aucune marge.
Qu’est-ce que le digging pour toi ?
J’aime pas trop m’appeler « digger », ce serait comme s’auto proclamer « bon dj ». Je pense en tout cas qu’il y a deux types de digging.
Le premier c’est celui sur internet, et c’est vrai que Youtube et Discogs ont donné une impulsion à ça. J’ai commencé avec les vinyles de mes parents, puis à 13 ans je suis allé vers le rock. Quand j’ai commencé à venir sur Paris, ce sont des gens comme Dave de L’International Records comme Vincent Privat ou Vidal Benjamin qui m’ont poussé à me lever pour aller en brocante le matin et à faire les bacs de soldes pendant des heures. Moi, ce qui me fait kiffer, c’est pas de jouer des grosses balles à 600 euros, le mieux c’est de trouver des disques qui valent rien et que personne ne connait.
« Digger », c’est très personnel. À chaque Dekmantel, il y a toujours pleins de mecs qui demandent les tracks ID. C’est cool, mais est-ce que tu vas vraiment vouloir jouer tous les mêmes disques que passent Hunee et Antal ? Ce qu’ils font, c’est super, c’est un super travail mais quand je vois que » Walkman » de Kasso ça se vend à 30 euros parce qu’il l’a joué… achetez autre chose les gars ! Soyez curieux.
C’est comme les gens qui vendent des disques à prix d’or ou qui achètent tous les stocks de disques pour sortir une compilation, c’est cool mais non quoi. C’est aussi pour ça que j’aime pas trop les étiquettes, ça me permet d’essayer d’aller vraiment loin.
« L’âge ne veut plus dire grand chose. Je suis content d’être jeune car je me dis que j’ai du temps. (…) En tout cas, il ne faut pas voir les jeunes comme une concurrence. »
Qu’est-ce que ça fait d’être aussi jeune ?
Le fait d’être avec des gens plus vieux, c’est pas qu’on se sent vieillir mais on se sent moins jeune. C’est vrai que parfois je me dit « wow j’ai 21 ans », que souvent mes potes dj plus âgés me disent « ah oui c’est mon fils en soirée », je suis hyper intéressé par ce qu’ils font.
Beaucoup de gens n’aiment pas les jeunes ou les voient d’un mauvais œil. À l’inverse, d’autres trouvent ça super et nous considèrent comme la relève, ce que je trouve très touchant puisque c’est eux qui nous apprennent tout. L’âge ne veut plus dire grand chose. Je suis content d’être jeune car je me dis que j’ai du temps. D’ailleurs, comme je prends pas de drogue, on me dit souvent que c’est parce que je suis jeune. C’est un peu une réflexion de vieux con. Même si c’est certes possible que j’ai moins d’énergie plus tard que maintenant.
En tout cas, il ne faut pas voir les jeunes comme une concurrence. Au contraire, plutôt comme une curiosité et trouver ça chouette qu’il y ait cet intérêt. On a toujours des choses à s’échanger.
Si tu devais Définir le rôle du dj en une phrase ?
Être dj, c’est aussi avoir été spectateur avant pour savoir ce que les gens ressentent. Il faut faire attention au public et le regarder. Larry Levan faisait des sets en fonctions d’ambiances, et c’est vrai qu’il faut écouter le public et essayer de le capter.
Cheminot le jour, dj la nuit ? Peux-tu me citer quatre morceaux qui englobent ces deux identités et univers ?
Vumani – « Midnight express »
C’est une amie qui m’a fait découvrir cet artiste, et cet album sud-africain incroyable que je ne trouverai sûrement jamais, ou peut être dans un Emmaüs à Angers… Les paroles d’un homme qui va rejoindre sa maman, sa sœur et son frère avec le train de minuit !
Claude Nougaro – « Locomotive d’or »
Un morceau très percussif aux accents de l’Afrique. L’album est très bien, je le conseille. Je dois la découverte à Guido d’Acid Arab lors d’un repas chez Pierre Wax.
Wish Key – « Orient Express«
Morceau d’Italo assez connu chez les aficionados. La base rythmique fait référence à une locomotive, rien que ça.
The Bob Seger System – « Train man«
On finit sur un titre de mon adolescence : j’étais fan de ce bon vieux Bob, beaucoup de psy auraient été préoccupés de cette passion pour un artiste pareil. C’est un morceau de soft rock qui résume bien ce que j’aime dans ce style et qui parle d’un homme train, comme quoi j’étais destiné à faire ça.
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Res.Onance X Master Phil @ Panic Room le 21/09/17
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