Photo en une © Florian Gallene
Le premier weekend de juin se déroulera la troisième édition du Le Bon Air, festival de musiques électroniques à la programmation léchée installé au cœur de la cité phocéenne. À l’occasion des Nuits Sonores, sous un soleil lyonnais radieux, nous avons pu nous entretenir le temps d’un verre avec Olivier, directeur artistique et membre fondateur du jeune festival marseillais.
Le Bon Air, c’est un peu le « minot » de Bi:pole, agence de booking, promoteur et producteur de concerts créée à Marseille en 2010. La société compte plus d’une soixantaine d’artistes et DJs dans son catalogue aux esthétiques diverses et variées (d’Aïsha Devi à Panda Dub, de Myako à Africaine 808…), à l’image des personnalités qui composent son équipe (parmi lesquelles Judaah, boss de BFDM ou Julie de Metaphore Collectif). En plus du Bon Air, celle-ci chapeaute aussi le Télérama Dub Festival aux travers d’événements organisés aux 4 coins du pays.
« On a décidé de créer Le Bon Air il y a trois ans. Bizarrement, nous étions peu implantés sur Marseille et il y avait peu d’événements dans ce genre. On voulait marquer le coup et travailler main dans la main avec la Friche la Belle de Mai sur cette proposition. Marsatac s’y était implanté auparavant, mais quand ils sont partis il y a eu comme un manque… C’est aussi cela qui nous a donné envie de créer cet événement. Côté influence, les Nuits Sonores sont une référence pour nous. J’y viens tous les ans depuis la création. Nous avons des bonnes affinités avec les programmateurs. Si tu regardes la programmation de cette année il y a quelques noms communs même si ce n’est pas concerté… On a un peu les mêmes goûts ! Toute la bande de Dekmantel aussi est une source d’inspiration. »
La Friche la Belle de Mai est un lieu historique au passif culturel atypique. Au XIXe siècle, ses murs sont ceux de l’une des manufactures de tabac les plus importantes de France. Deux ans après sa fermeture, les 45 000 m2 du site seront investis par divers opérateurs culturels, associations, artistes et entrepreneurs créatifs. Un véritable « terrain de jeu » pour la ville de Marseille, devenue propriétaire des lieux, qui y expérimente divers modèles de gouvernance collective et d’aménagements de la friche. Le Cabaret Aléatoire, salle de concert emblématique de la ville, y verra d’ailleurs le jour en 2003.
La nomination de Marseille en Capitale Européenne de la Culture en 2013 marque un tournant pour le projet et s’accompagne de nouveaux financements permettant notamment l’aménagement du célèbre toit terrasse de 8 000 m2 et l’ouverture des Plateaux, deux magnifiques salles de spectacles à l’acoustique impeccable.
Aire de jeux et de sport, restaurant, jardins partagés, librairie, espaces d’exposition… La Friche la Belle de Mai est un spot aux multiples casquettes qui accueille 70 structures résidentes (dont Bi:pole) et propose 600 événements à l’année. Le Bon Air est un projet qui s’inscrit résolument dans la dynamique et philosophie de celle-ci, tant par l’occupation de ses différents espaces, que par sa politique tarifaire accessible et sa volonté d’ouverture à tous les publics.
Côté programmation, la première édition dénote étonnamment des suivantes. L’éclectisme y est assumé… Mala, The Shoes et Stand High Patrol y figurent en têtes d’affiche. « C’était un peu une vitrine de l’agence », me confie Olivier. De fait, on se demande les raisons d’un tel « shift » artistique l’année suivante.
« On voulait notamment se différencier de Marsatac qui était organisé en septembre auparavant. Maintenant il se déroule mi-juin, ce qui est relativement proche. On ne pouvait pas faire la même offre car c’est un festival très éclectique (hiphop, électro, pop…). On a donc pris le parti de se recentrer sur la house et la techno. Il y avait des événements, des soirées… mais il n’y avait pas de festivals pointus, de niche comme ça à Marseille. On s’est dit que c’était le bon moment pour se lancer là-dedans. »
La DJ américaine du « désert », Avalon Emerson. L’une des têtes d’affiche féminines du Bon Air cette année.
Un des points forts du festival ? Son approche résolument « égalitaire » de la programmation dans une scène régulièrement pointée du doigt pour sa masculinité dominante. Le Bon Air est à ma connaissance l’un des rares festivals français à afficher une quasi-parité homme/femme dans les rangs des artistes programmés. Les festivaliers pourront y découvrir cette année les crèmes de la scène féminine avec la présence Avalon Emerson, Sassy J, Paula Temple, Elena Colombi, Myako…
« Moi je programme sur différents événements… C’est Marsatac qui avait fait un débat là-dessus il y a 3-4 ans, sur la place des artistes féminines. Ça m’avait touché et je me suis dit « voilà, dorénavant dans toutes mes programmations je m’impose des quotas ». Au début je me prenais pas mal la tête parce qu’il n’y avait pas non plus énormément de DJs (féminines) locales. C’est quelque chose que j’aime bien m’imposer et je suis content que ça se soit assez généralisé. Depuis un an, on voit qu’il y a beaucoup de programmateurs qui se remettent en question et ça fait une sorte d’effet boule de neige car on a l’impression qu’il y a plus de femmes qui sont reconnues et qui se mettent en avant. On voit que ça porte ses fruits.
« Petite nouveauté aussi cette année, on bosse avec un collectif qui s’appelle Paillettes. C’est un collectif queer assez engagé, militant mais aussi hyper fun – comme l’équivalent marseillais de Garçon Sauvage – en plus punk. C’est un peu l’élément « perturbateur » mais aussi le fil rouge du festival. Ils vont apparaître à 2 – 3 endroits, accompagner le public et l’égayer un peu. On voulait aussi s’adresser à cette scène queer et militante marseillaise pas forcément « mise en valeur » alors qu’ils (la communauté LGBT) sont aux origines de la house et de la techno… leur faire un beau clin d’œil. »
Des plateaux de qualité et une démarche militante qui profitent en premier lieu à un public local de plus en plus en demande de telles programmations. Le Bon Air est aussi pour l’organisation un levier permettant de mettre à l’honneur les différents activistes du coin, une manière de tisser du lien et d’ancrer l’événement dans son territoire…
« Je suis hyper content car depuis 3 – 4 ans, il y a vraiment une nouvelle génération qui est apparue, à la fois chez les promoteurs et chez le public. Je vis à Marseille depuis 15 ans maintenant. Au début, quand je suis arrivé, (la scène) c’était un petit noyau, on était 300 – 400 à sortir et faire des trucs. Ça s’est vraiment développé depuis 2013 – 2014. C’est aussi pour cela qu’on a programmé 5 collectifs du coin sur les différents événements du festival. On a d’ailleurs de bonnes réponses de la part des marseillais, avec un public majoritairement local. »
Un territoire politiquement complexe pour les projets culturels de la sorte dès que l’envie d’investir un peu plus la ville se profile. Les pouvoirs publics n’y prêtant pas d’attention particulière même pour les « gros » du milieu. « Travailler dans le centre de Marseille c’est compliqué… On ne peut pas compter, contrairement à Nuits Sonores qui bossent main dans la main avec la Mairie, sur les pouvoirs publics. Tant que tu fais des soirées en club ça va, mais dès que tu commences à avoir des projets un peu plus ambitieux et qui sont sur l’espace public… c’est souvent complexe, même pour un festival comme Marsatac qui a presque 20 ans. C’est aussi pour ça qu’on n’est quasiment pas subventionné. On ne les attend pas. »
Après tout, l’autofinancement n’est pas une mauvaise chose à l’heure de la contraction des dépenses publiques. Les mêmes qui poussent de nombreuses associations porteuses de projets semblables à remettre en cause leur modèle économique pour pouvoir survivre face à une industrie de plus en plus agressive et mondialisée.
Si côté « immanquables » de cette nouvelle édition, nos choix sont déjà tous tracés, avant de quitter Olivier, j’ai souhaité savoir qu’elles étaient ses « petites fiertés », les artistes qu’il recommanderait à un public « néophyte » de ne pas rater.
« Larry Heard ! C’est un mec qui ne tournait pas… si on m’avait dit que je l’allais le programmer il y a dix ans ! Pour moi, c’est une légende, c’est ma génération. Je n’étais pas là quand il a commencé mais c’est un des fondateurs… que les jeunes redécouvrent aussi maintenant. Je suis content de le faire découvrir à cette nouvelle génération. Soichi Terada aussi, pour le côté hyper décalé, japonais, showman… je ne suis pas très fan des lives « derrière le laptop »… J’aime bien les personnages, qu’il se passe des choses sur scène. L’année dernière on avait fait Bagarre par exemple qui était hors format « électronique » mais très influencé de cette esthétique quand même. On aime bien avoir des petites surprises comme ça et sortir du carcan « live-DJ ».
J’aime bien Perel également, récemment signée sur DFA, qui jouera sur le toit terrasse. OKO DJ aussi bien sûr. Elle fait vraiment des belles dates cet été, il y a un gros buzz sur elle, totalement mérité je trouve. Et puis la scène locale aussi que je défends, qu’on met en avant. On a 5 collectifs/artistes locaux qui sont représentés sur la programmation : Donarra, Dub Striker, Extend & Play, D-Mood (en before du festival) et Tropicold. »
Envie de prendre un bon bol de Bon Air méditerranéen ? Les infos et la billetterie sont disponibles sur le site du festival ou via l’événement Facebook.
© Crédit photos festival – Florian Gallene