Digger invétéré de musiques du monde « tropical » Julien Lebrun, co-fondateur du label Hot Casa Records, a pris le temps de nous parler pour nous décrire sa passion pour l’exploration musicale, ses méthodes de travail et ses projets à venir.

Salut Julien. Tu pourrais nous parler de Hot Casa Records, comment cela s’est créé, d’où ça vient ?

C’est un label de musiques Soul Tropicales que nous avons créé avec Djamel Hammadi en 2002. On travaille à 60% sur des rééditions de music soul, majoritairement venues de l’Afrique de l’Ouest, mais on a aussi une partie production avec cinq ou six artistes différents qui vont du jazz au latin funk en passant par l’afro-funk.

À la base, nous sommes DJs. On s’est rencontrés sur le show de Dj Bronco sur Generations 88.2 en 1997 et on était tous les deux diggers de soul et de jazz, très influencés par les samples hip-hop. Ce travail nous a amené à toujours rechercher des nouveaux disques, des nouveaux sons et des nouvelles boucles. En plus on a toujours eu une certaine appétence pour la musique africaine. On jouait notamment dans un restaurant africain qui s’appelait l’Impala. À travers ça, on s’est rendus compte que peu de musiques africaines étaient exportées vers l’Europe, et on s’est dit qu’il y avait beaucoup de choses à découvrir. On a donc commencé à beaucoup voyager sur le terrain à partir des années 90, et on a un peu développé une fièvre africaine. C’est de ce processus qu’est né Hot Casa Records.

On travaille pas mal sur des compilations qui nous prennent beaucoup de temps à faire, notamment car il faut retrouver les ayant droits de la dizaine d’artistes présents sur la compil, que ce soit le producteur, l’artiste ou ses ayants droits, le fils ou la famille  etc… Il y a vraiment un double travail entre le disque et la licence, et ce sont des processus qui peuvent prendre trois à cinq ans.

« C’est essentiellement du bouche à oreille. (…) Tu peux rencontrer un vieux dans la rue qui te préviens que son pote vend tous ses disques. »

Comment est-ce que tu t’y prends pour justement retrouver ces artistes perdus?

C’est comme le digging, y’a pas de recette. Sur les productions originales il y a des adresses et des noms, du coup ça te donne une piste pour commencer tes recherches. Après le problème, c’est que souvent ces boites de production sont mortes. Sur des artistes qui se sont autoproduits ou qui sont sortis sur des petits labels, il y a tout un travail de recherche sur le terrain, en creusant les réseaux de musicien locaux. Tu ne peux pas vraiment te servir d’internet et du téléphone. C’est essentiellement du bouche à oreille.

Nana Ampadu de African Brothers Band et Julien Lebrun © Julien Lebrun

D’ailleurs tu étais au Ghana récemment. Comment est-ce que tu repère les endroits où tu vas digger des vinyles ?

Il y a des tricks. Il y a une part de chance, une part de réseau, notamment en passant par des disquaires modernes qui connaissent des disquaires anciens, qui connaissent des personnes âgées qui ont des collections dont ils veulent se séparer. Après il y a de la chance. Tu peux rencontrer un vieux dans la rue qui te préviens que son pote vend tous ses disques.

Cape Coast Ghana – © Julien Lebrun

Digger au Ghana – © Julien Lebrun

Sur des pays comme le Ghana, il y a encore quelques disquaires, donc ça reste relativement simple, même s’ils n’ont souvent pas leurs vinyles sur place car ils vendent des CDs et des clefs Mp3. Aujourd’hui, la musique en vogue sur place est beaucoup plus centrée sur l’Azonto et les autres musiques modernes, même s’il y a un énorme respect des jeunes pour les musiques plus anciennes, et donc les vinyles passent un peu à la trappe. C’est pour ça que c’est toujours un mélange entre un métier, une passion et du tourisme. Moi ça me permet de voyager et d’aller chez les gens.

Digger pour voyager – © Julien Lebrun

« Le temps est compté. Sinon ce sont des morceaux d’histoire et de culture qui vont disparaître. (…) C’est un vrai travail de terrain. »

Quels pays as- tu visité comme ça ?

On en a fait beaucoup avec Djamel, qui d’ailleurs passe presque un quart de l’année sur le « terrain », et notamment la Côte d’Ivoire : sinon il y a eu l’Éthiopie, le Bénin, Mozambique, le Zimbabwe, l’Afrique du Sud, le Togo, Sénégal, Burkina Faso… Après, il y a beaucoup de pays qui sont retournés par les diggers, dès que y’a un minimum de stabilité politique comme le Sénégal par exemple, où il ne reste déjà plus beaucoup de disques facilement trouvables. On croise beaucoup de diggers sur place, des italiens, des hollandais. Il va être de plus en plus difficile de trouver des disques à l’avenir. En même temps, certaines références vont disparaitre, du fait des conditions de conservation, de l’humidité… Donc le temps est compté. Sinon ce sont des morceaux d’histoire et de culture qui vont disparaître…

Et les vinyles que tu trouves sont en bon état ?

C’est tout le problème. Trouver des disques est parfois à la portée de tous, mais c’est l’état qui fait la différence. Tu n’es pas à l’abri de trouver une super pochette mais le disque est rayé ou a vécu plusieurs tempêtes de poussières. Après, tu n’es pas à l’abri d’un coup de chance. Au Ghana l’autre jour, j’ai trouvé un Marijata Mint qui avait été écouté deux fois, mais ça ce sont des choses qui arrivent exceptionnellement. Dans le digging il y a une part de chance énorme.

Je me balade avec un lecteur vinyle portatif, un petit fisher price pour pouvoir vérifier sur le coup si le vinyle saute pas trop ou si l’enregistrement est bon. Après, les conditions sont compliquées. Tu trimballes des vinyles et ton lecteur de disque, il fait chaud et humide, ce n’est pas une mince affaire. C’est un vrai travail de terrain. Y’a les moustiques, la tourista, les problèmes de connections téléphoniques…

© Julien Lebrun

Finalement, notre objectif c’est de promouvoir les disques, d’en faire des radioshows et des les rééditer. Aussi, ce qui est bien dans notre petite scène qui est en train de grandir, c’est qu’il y a des très bons labels concurrents comme Analog Africa, ou Soundway Records qui font un vrai travail de pochette, de biographie, de pressage, de mastering, et du coup c’est une scène qui se professionnalise beaucoup.

Dans les années 90, il y avait beaucoup de bootleg, tout était très mélangé. On parlait de musique africaine au sens large. Dans les compilations, tu pouvais avoir du Kenyan, du Sénégalais, alors qu’aujourd’hui on est beaucoup plus précis, on s’intéresse beaucoup plus à un genre, ou à un pays. On est plus thématisés, plus approfondis. Par exemple, rien qu’au sein de la musique ghanéenne, on peut faire des compilations par styles, époques, artistes, au vu de la richesse musicale du pays.

« Il faudrait douze vies pour approfondir l’ensemble des musiques africaines et du monde. »

Mis à part l’Ethiopie, on a l’impression que c’est surtout en Afrique de l’Ouest que se trouve la bonne musique, notamment avec le Ghana et le Nigéria. T’en pense quoi ?

Pas du tout, il y a eu de la bonne musique partout, et même partout dans le monde. À vrai dire, dans les années 70, tous les pays du monde ont connu une créativité et un son incroyable ! Aujourd’hui encore sort une compilation sur la Somalie, le Cameroun y’a six mois, le Soudan qui va arriver, le Cap Vert aussi. Il faudrait douze vies pour approfondir l’ensemble des musiques africaines et du monde.

« Créer en respectant les anciens, même si les techniques d’enregistrements, les machines et les samples ont changé la donne par rapport aux orchestres des 60’s et 70’s. »

Par contre, on a l’impression que les musiques africaines qu’on écoute en Europe, ne sont plus vraiment à la mode sur place…

Je ne serai pas si catégorique ! La musique actuelle électronique pop, L’Azonto par exemple au Ghana est tellement puissante que c’est quasiment la seule chose que t’entends à la radio. Après, ça a le mérite d’être de la vraie musique locale, supportée par une vraie industrie musicale africaine. L’afrobeat actuel au Nigéria, c’est aussi une énorme industrie avec des clips à 200 – 300 millions de vues. Mais dans tous les cas, il y a un vrai respect de la jeune scène pour la musique des anciens, notamment le high-life, même si les jeunes sont vraiment dans une nouvelle phase musicale. Un peu comme aujourd’hui en France avec les gamins qui produisent un hip-hop complètement différent de celui des 90s, mais apprécient quand même le style des origines. Dans son dernier tube, Wizkid reprend un couplet de Fela Anikulapo Kuti, c’est un bon exemple : créer en respectant les anciens même si les techniques d’enregistrements, les machines et les samples ont changé la donne par rapport aux orchestres des 60’s et 70’s.

Après, sur certaines élites, il y a des diggers ghanéens, des diggers béninois, y’a aussi en Côte d’ivoire un retour sur les samples de la musique des années 70. Mais c’est encore à la niche, et le gros du gros reste la musique actuelle.

Et tu trouves encore des soirées sur place où on peut écouter ces musiques plus anciennes ?

Au Togo, il y a encore des bals live avec des orchestres comme les Melo-Togo, même si la plupart des orchestres ont disparu dans les années 80 avec l’arrivée des DJs. Les DJs étaient moins chers, moins compliqués à organiser et plus flexibles musicalement qu’un orchestre composé de dix ou douze musiciens. Donc ils ont pris la main sur les orchestres, même si ces derniers n’ont pas totalement disparu. Certains renaissent comme le Poly-rythmo au Bénin ou Sassamasso à Lomé au Togo, qui joue tous les dimanches devant mille personnes. D’ailleurs, on est en train de monter un documentaire sur la scène soul togolaise des années 70 qui devrait être terminé dans quelques mois.

Lomé au Togo – © Julien Lebrun

Et c’est quoi la suite de ton programme en terme de voyages ?

Sûrement le Togo dans les semaines qui viennent, pour essayer de présenter ce documentaire. On a aussi le prochain album de Vaudou Game qui va se faire au Togo, toute la partie production avec des featuring d’artistes plus anciens.

Vaudou Game, c’est un groupe qui, avec son son analogique, nous permet de faire du moderne en respectant les anciens, et du coup il représente vraiment bien l’ADN Hot Casa Records.

« En tant que label, on presse et promotionne leur musique et on aide à ce que le disque suive la tournée »

Et ils viennent d’où, Vaudou Game ?

Ce sont des lyonnais qui ont eu un succès fulgurant. Là ils sortent d’une tournée de onze dates à Londres, après le Canada, Le Japon, l’Europe… Ils ont fait le lancement de leur album l’année dernière à Jazz à la Villette. C’est un groupe qui nous a ouvert beaucoup de portes. Leur single « Pas Contente » nous a ouvert les portes de France Inter. En tant que label, on presse et promotionne leur musique et on aide à ce que le disque suive la tournée.

© Vaudou Game

Le groupe s’appelle Vaudou Game. Quel est le lien entre cette culture Vaudou et la musique d’Afrique de l’Ouest ?

Peter Solo, le chanteur de Vaudou Game est togolais justement. Il a été bercé dans la culture vaudou depuis sa naissance, et il tient à faire connaitre cette culture qui va au-delà d’une simple religion et des clichés qu’on a représenté autour d’elle, souvent maléfique et un peu folklorique. Il perpétue les rythmiques traditionnelles togolaises qu’il fusionne avec de la soul. Donc toute sa démarche c’est de prendre le vaudou non pas comme une religion unique mais plus comme une philosophie, avec des notions de respect de la nature et avec certains piliers du culte vaudou, comme la terre, le feu, l’eau : sa musique en est le vecteur.

Lors de tes voyages en Afrique de l’Ouest, as-tu pu assister justement à des cérémonies, à des rites ?

Ouais, souvent. Lors du tournage de notre documentaire par exemple. On est partis filmer les éléments vaudous de la fête nationale béninoise. On voulait capturer l’essence musicale du rituel Vaudou, qui est intrinsèquement lié à la musique et avons pu assister à des cérémonies de « lavements » et rencontrer divers protecteurs de divinités et autres adeptes de ce culte et courant philosophique.

Ouidah, cérémonie lors de la fête du Vaudou – © Julien Lebrun

Tu fais aussi fréquemment des radioshows. Peux-tu nous en parler ?

Tous les 15 jours au Mellotron depuis quatre-cinq ans. C’est plus ouvert musicalement, et c’est plus sur l’actualité tropicale au sens large. On essaye de mettre en lumière les artistes en devenir, les nouveaux édits etc… Ce n’est pas exclusivement africain, y’a du latin, du Brésil, de l’afro, et il y a des choses américaines à cause de notre amour pour la soul. Du coup, c’est un peu à l’image du label et de nos goûts.

« Comme c’est une musique bien dansante avec des tempos assez élevés, il y a aussi des mecs de la house qui s’y sont mis, avec des DJs qui jouent tous un peu d’afro. (…) Mais il reste du chemin à faire. »

Et il y a un public pour ce genre de musique ?

Ouais, ça pousse pas mal cette scène, notamment grâce aux soirées comme celle d’Emilien, les « Tropical Discoteq« , et grâce à des bons labels comme Sofrito. Comme c’est une musique bien dansante avec des tempos assez élevés, il y a aussi des mecs de la house qui s’y sont mis, avec des DJs comme MCDE, Jeremy Underground ou Antal qui jouent tous un peu d’afro. Du coup, ce sont des artistes qui jouent le rôle de Gilles Peterson pour notre génération, car ils mettent en lumière des artistes et ça incite les gens à aller chiner par eux-mêmes. C’est comme ça qu’une scène prend de l’ampleur. On a aussi la chance d’avoir des artistes lives qui sont costauds, comme Polyrithmo ou Seun Kuti, Pat Thomas, Ebo Taylor et Orlando Julius.

Et il y a un parallèle avec la scène électronique plus mainstream ?

C’est marrant parce qu’elle commence à s’y intéresser, elle sent qu’il y a une vraie énergie. Là je viens de recevoir un remix d’Orlando Julius, « Disco Highlife« , et le mec n’a pas du tout suivi la philosophie du son et de la culture. C’est marrant de voir comme un pied ou une caisse claire peut cramer un morceau. Donc il reste encore un peu de chemin à faire.

La scène édit est un peu casse gueule, par ce qu’il y a du très très bon et du très très mauvais. Le remix d’Orlando Julius que je viens de recevoir par exemple, on dirait un truc fait pour le Pacha à Ibiza, et du coup ça va pas du tout. Après, il y a tellement d’écoles dans le digging, entre ceux qui veulent jouer 100% vinyles, ceux qui jouent que des édits, ceux qui jouent plus électronique…

« Je ne suis pas du tout pour la dictature du vinyle. (…) Ne pas jouer un morceau à cause de ça, je trouve que c’est d’une débilité abyssale. »

Toi, tu joues quoi justement ?

Pour simplifier, j’aime bien le terme « Tropical Soul », même s’il est un peu galvaudé aujourd’hui. J’ai toujours eu un ADN soul et funk. Nous venons d’une génération qui a grandit dans l’âge d’or du hip hop, et donc avec cette culture du beat et du sample. Après, dans la musique, tu peux aimer un morceau pour plusieurs éléments différents, notamment la mélodie qui est l’âme de la musique au sens large, un type de mix, une façon d’enregistrer, d’interpréter …

En terme de support par contre, je ne suis pas du tout pour la dictature du vinyle. Je suis producteur vinyle, je vis et je dors sous ma collection de vinyle mais je suis contre l’obligation de jouer vinyle, car si musicalement un édit qui n’a pas été pressé sur vinyle me plaît, j’ai envie de pouvoir le jouer. Et ne pas jouer un morceau à cause de ça, je trouve que c’est d’une débilité abyssale. L’important c’est la musique, la façon dont tu l’amènes, comment tu transportes l’audience d’un point A à un point B. Après nous ne sommes pas des machines, il peut y avoir des erreurs de mix, mais le but c’est d’essayer de construire quelque chose en terme de tempo.

Moi je suis de l’école Nickodemus, Karizma ou Rich Medina à New York, ou Gilles Peterson que j’allais voir à Londres adolescent. Ce qui importe avant tout c’est la mélodie et le son, le calage, les intentions, la tracklist, la prise de risque, faire découvrir des tracks. L’idéal c’est de pouvoir jouer de tous les formats et ne rien s’interdire. Et puis nous avons la chance de voyager pour jouer, et je t’avouerais qu’à 40 ans et des brouettes, se balader avec 50 kilos de son sur le dos tous les week-ends, ça pèse… D’autant qu’en afro, jouer de l’original ou les plaques peuvent coûter 300 à 400 euros le disque … Une petite clé peut t’éviter les drames d’une bière d’un hystérique à 4 heures du matin…

Tes adresses parisiennes pour trouver des bons disques ?

On a la chance d’avoir de bons magasins à Paris : Superfly, Betino, Silence de la Rue, Patate, les puces ce Clignancourt, les conventions de disques notamment les Paris Loves Vinyl de Denis Dantas sont très bien achalandées. Après, Discogs c’est bien aussi, mais les prix peuvent vite monter.

Ton vinyle le plus cher ?

Il y a des choses qui sont inestimables. Mais par exemple, le Orlando Julius qu’on a réédité, il peut valoir entre 1000 et 2000 euros en fonction de l’état.

En fait, comme la scène qui m’intéresse est très restreinte, avec des pressages originaux autour de 500 copies, et que la plupart ont soit disparu ou alors sont abimés, c’est ce qui fait la rareté fait et le prix.

Quand t’achète directement dans les pays d’origines, les prix sont déjà exorbitants ou pas ?

Il n’y a pas de recette. Un petit vieux peut te vendre tous ses vinyles pour 100 balles, et puis au Ghana t’as un mec hyper au courant grâce à Discogs qui va te vendre ses vinyles au prix du marché.

Lors de ton dernier voyage au Ghana, t’es reparti avec combien de disques ?

Une centaine. Au Togo, la dernière fois, je suis reparti avec 30 disques, mais c’était vraiment des super disques. Le nombre sur cette niche-là ne veut rien dire. Je préfère avoir cinq bons disques que 30 000 claqués.

« Nous avons été des résidents à jouer cinq jours sur sept pendant vingt ans, nous avons été des ouvriers des platines, ce qui nous a permis de vivre de ça. »

À quoi te servent ces disques ?

En tant que collectionneur, j’aime l’objet, la forme, l’odeur. Après, je ne suis pas fétichiste non plus, une collection ça vit, ça bouge, il y a pleins de trucs dont je me sépare, notamment des vieux trucs qui te paraissaient fous à l’époque et que tu as trop entendu. Après, sur l’afro, quand t’as de très bon disques, mieux vaut les garder car c’est difficile de les retrouver.

Et tu ré-édites certains des vinyles achetés lors de tes voyages ?

Ouais, ça fait parti du délire. Mais par exemple sur le Ghana, j’ai quelques pistes de vinyles que j’aimerais bien ressortir, à condition de ne pas être en compétition avec un autre label car je déteste ça. L’idée c’est d’être assez original. Par exemple, le Cameroun on voulait le faire, mais ça a été fait par Analog Africa donc on s’est abstenus. C’est comme quand tu mixes, tu ne vas pas jouer le morceau phare d’un autre DJ.

Tu joues où prochainement ? 

Là je vais à Nantes, puis en Norvège. La Bellevilloise pour la soirée D’humeur Exotique, à Tokyo pour le nouvel an… Nous avons été des résidents à jouer cinq jours sur sept pendant vingt ans, nous avons été des ouvriers des platines, ce qui nous a permis de vivre de ça. Mais du coup, avec le temps, j’essaie de me focaliser sur les plans que j’aime.

« Il y a des gars qui vont organiser des événements afro et tropicaux par passion et amour du son, ce sont de vrais ministre de la culture ! »

Il y a une demande pour ce genre de musiques au Japon ?

J’ai aussi un autre métier, je fais des designs sonores pour des hôtels. C’est musicalement très pointu, mais c’est plus dans une niche jazz. Il y a aussi quelques groupes d’afrobeat sur place, mais c’est vrai qu’il n’y a pas l’engouement en soirée qu’on trouve ailleurs dans le monde.

C’est marrant par exemple là je rentre d’Ibiza, et il y a des mecs qui sont devenus des furieux d’afrobeat, ils ont réussi à avoir Ebo Taylor pendant une semaine et ils jouent des faces B africaines hyper obscures, loin des grandes barres d’hôtels dégueulasses. C’est ça qui est cool avec internet, tout le monde peut être acteur, ce n’est plus une niche d’esthètes urbains. En Bretagne, au Pouldu, un petit port de pèche, il y a un mec qui a un petit bar, le Marie Henry Café, et il se prend la tête pour inviter les mecs d’Analog et nous pour réussir à convertir les villageois à des sons zaïrois ou kenyans, c’est magnifique  c’est de la vraie résistance culturelle !

Tu joues devant cent personnes, mais cent personnes ultra converties au son qui chantent le refrain d’un morceau obscure camerounais. À Mulhouse, plus précisément à Châteauroux les Alpes – un village de 1000 habitants, il y a des gars qui vont organiser des événements afro et tropicaux par passion et amour du son, ce sont de vrais ministre de la culture ! Ce serait plus facile pour ces gens-là de passer des gros tubes et de vendre pleins de bières, mais sur le long terme, l’histoire prouve que la qualité paye, et ces petites bars, artistes et labels vont avoir une vraie longévité.

Tu recommandes quoi comme endroit à Paris pour écouter ce genre de musique ?

Il y a pas mal d’endroits. Le dimanche après-midi, avec Djamel, nous organisons le Jazz Brunch au Réservoir. Nous bookons des groupes de soul jazz et mixons toute l’après-midi, c’est un réel plaisir de pouvoir jouer des tracks obscurs, longs, avec des chorus. On va faire le 18ème saison cette année ! C’est l’une des plus vieilles soirées de Paris.

Mais ce qui nous manque dans le label, c’est d’avoir une soirée régulière. On est trop fainéants et vieux pour le faire, même si ça serait un bon support pour promouvoir notre travail.

Et tu ne joues pas au Djoon par exemple ?

Si, avec le collectif monté par Soulist qui s’appelle «What The Funk» qui regroupe Dj Vas, Pierre Wax, Alain Freeworker et les Around The World. C’est plus funk, donc afro-funk pour moi : on y joue tous les deux mois.

Quoi de prévu pour le futur ?

On a une sortie de prévue avec un remix d’Osunlade de Vaudou Game. J’ai toujours vénéré Osunlade. Je bossais avec lui il y a plusieurs années en tant que beat-maker, je trouve qu’il a toujours eu une sorte de talent pour « prendre » le dancefloor. Donc j’étais très content de retravailler avec lui.

On arrive aussi avec une réédition d’un artiste togolais qui s’appel Itadi, qui a eu une vie assez compliquée. Sa maison a été brulée par ce qu’il avait fait des chansons contre le président. Il a très tôt fusionné les musiques traditionnelles avec de l’afro et de la funk. C’est un artiste hyper intéressant avec un son unique fusionnant afro-beat, funk et reggae.

Un maxi 4 titres de Boncana Maïga, un flûtiste malien suivra en novembre. Un EP de soul ivoirienne de Deke Tom Dollar arrivera pour les fêtes. Nous travaillons sur le deuxième album de DjeuhDjoah & Lieutenant Nicholson qui s’appellera « Aimez ces airs » pour février prochain.

Djamel est aussi en train de peaufiner une compilation sur la Côte d’ivoire en version plus funky digitale que nos deux précédents volumes.

Et on a aussi les 15 ans du label, qui auront lieu vers la fin du printemps, histoire de pouvoir faire un truc un peu en extérieur. On connaît les parisiens, faut que ça puisse fumer des clopes et que ça soit relax. On va donc organiser un grand concert, peut être au Cabaret Sauvage, avec diffusion du documentaire et musique, un food truck afro et pas mal d’autres choses.

Et sinon ma prochaine date à Paris ce sera Le Réservoir le 1er octobre, le 6 octobre à la Bellevilloise et le Djoon le 18 novembre…

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