Le 7 février prochain, sous le plafond du Trabendo, Make It Deep rend hommage au pays du soleil levant avec une soirée dédiée à la musique électronique japonaise. Pour l’occasion, Soichi Terada, Kuniyuki Takahashi et Sauce81 viendront présenter pour la première fois à l’étranger leur trio live, une prestation exceptionnelle de trois heures en improvisation. Retour synthétique sur l’histoire de l’électro nippone afin de recontextualiser une culture qui fascine, tant par son esthétique que son éloignement.
Premiers balbutiements
Au pays de la technologie reine, la musique électronique s’est naturellement enracinée de façon très précoce, au même titre qu’en Amérique du Nord et qu’en Europe occidentale, au détour des années 80. La fascination pour un progrès cristallisé dans la production de machines et incarné par des marques comme Roland, Korg ou Yamaha, a vu éclore nombre de producteurs japonais qui ont marqué le genre électronique d’une emprunte indélébile.
Impulsée par l’oeuvre de Ryuichi Sakamoto et son Yellow Magic Orchestra qui utilisait dés les années 70 de nombreux synthétiseurs dans la composition d’une pop acidulée (défini aujourd’hui comme « techno pop »), la musique électronique japonaise connaît un véritable essor au milieu des années 80 avec une vague electronica particulièrement prolifique. Si l’on retrouve Ryuichi Sakamoto qui sort en 1986 le célèbre « Illustrated Music Encyclopedia », d’autres artistes moins illustres y participèrent également. On pense notamment aux groupes Neo Museum, P-Model ou Shun dont le rock psyché et la new wave ont parfois dérivé vers des rivages purement électroniques.
Tokyo Techno
La fin des années 80 voit la démocratisation des éléments électroniques dans la production musicale nippone et l’éclosion des premières oeuvres se conformant à une esthétique plus proche de ce qui sera plus tard défini par Techno Music.
Le pays du soleil levant fut notamment très prolifique en matière d’EBM avec plusieurs albums emblématiques du genre. Au début des années 90, on voit apparaître les premières compositions de Satoshi Tomiie, Soichi Terada et Shinichiro Yokota, mais aussi du maître de la techno japonaise Ken Ishii qui tisse à cette époque une techno complexe et mentale héritée des pionniers américains pour la légendaire structure belge R&S records.
Japan House
Si la production techno japonaise mériterait un article dédié, c’est bien son versant house music dont il s’agira mercredi et sur lequel nous nous arrêterons plus longuement ici. Diverse et multiforme, on pourrait identifier sa naissance dans la création du label Far East Recordings en 1988.
Derrière la structure révélée par la compilation de Rush Hour « Sounds From The Far East » sortie en 2015, Soichi Terada et Shinichiro Yokota donneront à la Japan house son esthétique et sa spécificité. Le son house japonais reste avant tout inspiré par son art traditionnel, couplé à une relation particulière avec les machines. Dans une interview donnée à Fact Magazine en Mars 2017, Terada déclarait « À cette époque, nous avons essayé de produire un son proche de la House Music américaine et européenne, mais nous n’y arrivions pas ». Et pour cause, si la base rythmique et l’utilisation des synthés semblent identiques à ceux des scènes occidentales, l’incorporation d’une esthétique résolument asiatique dans les samples et les gammes confère à la house japonaise late 80’s une atmosphère bien à elle. Les deux compères ne cachent pas non plus une fascination pour leurs aînés et particulièrement le Yellow Magic Orchestra, qui occupa une place fondamentale dans la conscientisation artistique des producteurs de house music nippons et influença considérablement leur oeuvre.
Une influence américaine
Il serait imprudent de minimiser l’impact du son US sur les compositions nippones early 90’s. Si la Japan house possède son identité propre, elle a largement absorbé les cultures électroniques américaines de New York, Chicago et Détroit. Dès la seconde moitié des années 80, DJ Nori, après un séjour prolongé à New-York, ramène en terres japonaises des disques de house new yorkaise.
Les connexions entre les Etats-Unis et le pays du soleil levant se multiplient ensuite, dans les deux sens. On voit s’installer un dialogue fertile entre ces deux scènes durant toutes les années 90. Larry Levan a ainsi remixé le célèbre « Sun Shower » de Soichi Terada, des labels américains ont produit des artistes japonais comme le sublime « Seven Steps to Heaven » d’Ecstasy Boys sorti sur le label Quark Records mais des producteurs nippons ont aussi rendu hommage à leurs idoles outre-atlantique à l’instar de Takeshi Fukushima (GWM) et son morceau tribute à Pal Joey. N’oublions pas non plus l’oeuvre colossale de Satoshi Tomiie, le plus américains des producteurs japonais. Si il emprunta au détour des années 2000 des partis pris musicaux plus évidents, il travailla d’abord avec des artistes tels que Franckie Knuckles, Robert Owens ou encore Arnold Jarvis pour ne citer qu’eux !
Drum n’ Bass & Jeux Vidéos
Après une période économique particulièrement faste au pays du soleil levant entre 1986 et 1991, la bulle éclate en 1992. Cette crise eut un impact majeur sur la house japonaise dont les acteurs étaient alors jeunes avec un pouvoir d’achat limité. Le ralentissement de l’économie nippone entraîna une déflation considérable qui leur permis de s’offrir beaucoup de machines et de synthétiseurs très onéreux jusqu’alors.
Le son house japonais s’améliore ainsi et vit son âge d’or entre 1992 et 1995. Il subit cependant de plein fouet une certaine lassitude au milieu des 90’s qui le contraint à s’adapter en intégrant de nouveaux courants plus en vogue. C’est ainsi que la drum n’ bass est absorbée par certains artistes tokyoites dont Soichi Terada qui accouche en 1996 de « Sumo Jungle », l’un de ses albums les plus aboutis, où fusionnent ces nouveaux beats breakés et sonorités House.
Mais ce fut aussi la période du grand boom de l’industrie du jeu dont le Japon s’affirme comme le leader incontesté. Les acteurs du secteur décident de faire appel aux précurseurs de la dance music nippone pour composer les soundtracks de certaines de leurs créations. Là encore, Soichi Terada prend part au mouvement et réalise notamment la bande son du célèbre « Ape Escape » sur Playstation 1.
Nouvelle Génération
La fin des années 90 annonce un certain déclin de cette scène house japonaise dont les producteurs majeurs disparaissent progressivement et s’engagent vers de nouveaux horizons, à l’instar de Soichi Terada et Shinichiro Yokota. Après une traversée du désert au début des années 2000, la production électronique nippone se tourne vers une esthétique plus lyrique qui tranche avec la fibre club évoquée jusqu’alors. On voit surgir de nouveaux artistes comme Dj Nobu, So Inagawa ou Stereociti, inspirés par les pionniers de l’électro japonaises mais également par des courants plus récents, minimalistes et épurés. De nouveaux labels font aussi leur apparition et contribuent à donner au son nippon une nouvelle esthétique avec en chef de fil l’excellent Mule Musiq.
Un ovni nommé Kuniyuki
Si Mule Musiq s’affirme comme l’un des éléments moteurs de la musique électronique japonaise depuis le début 2000, la maison de disques est indissociable de son plus grand ambassadeur, légende vivante de l’électro nippone, Kuniyuki Takahashi. Producteur versatile composant dés la fin des années 80 une New Wave aux accents EBM indéniables, Kuniyuki a été de toutes les époques, de tous les mouvements, tout en conservant une identité propre, reconnaissable entre toutes. D’abord engagé dans la scène techno avec des productions acid, dub ou downtempo et un penchant non dissimulé pour l’ambiant, Kuniyuki se tourne au début des années 2000 vers la composition d’une deep house aérienne et mélodieuse. C’est à l’écoute de ces nouveaux morceaux, persuadé qu’il fallait les révéler au grand jour, que Toshiya Kawasaki se décide à lancer Mule Musiq. Le mariage entre la structure Tokyoite et le producteur de Sapporo est consommé et donnera lieu à plus de trente released..
Aujourd’hui, Kuniyuki continue de surprendre par la diversité de ses productions et excelle aussi bien dans la production d’une deep house aux accents jazz et aux percussions tribales omniprésentes, que dans celle d’un future jazz cristallin, d’une techno lyrique ou d’un ambiant racé. Multi-instrumentiste de génie, il compose essentiellement par jam session. Une spécificité que l’on retrouve lors de ses lives où l’artiste allie à ses machines des percussions, un piano et des flutes avec lesquels il improvise avec brio.
Retour en Vogue
En Novembre dernier, la chaîne de vidéos japonaise Toco Toco qui a pour but de mettre en avant le travail d’acteurs culturels nippons, dédiait un épisode à Soichi Terada. On y découvrait plus en détails la carrière du pionnier de la Japan House, du golden age des années 90 à la disparition progressive au cours des années 2000. Mais Soichi Terada y raconte aussi sa seconde jeunesse et son retour en verve suite à la parution en 2015 de la compilation de Rush Hour qui rend hommage au catalogue de son label, « Sounds from the Far East ». Ce disque, qui a connu un succès notable chez les passionnés des quatre coins du globe, a grandement contribué à donner à la carrière du tokyoite un boom inattendu. Plus encore – combiné à un regain d’engouement généralisé pour la musique électronique 90’s – ce disque a ouvert les vannes d’une fascination nouvelle pour la Japan house chez un public de plus en plus dense ! Entre rééditions, tournées européennes ou demandes de nouveaux EPs par d’excellentes maisons de disques, les artistes japonais de house ont le vent en poupe.
On imagine donc que cette Japan Connection au Trabendo le mercredi 7 février s’annonce être un événement particulier, un essentiel de ce début d’année 2018 qu’il ne faudra surtout pas manquer.
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Très bel article signé Simon Hamel et Julien Puch (Make It Deep).
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