Photo à la une : Wilde Renate à Berlin © Crystalmafia
À Glasgow, Paris et Berlin, des clubs, associations et labels pilotent la transition écologique du monde de la nuit et érigent le secteur en porte-drapeau des luttes actuelles.
Tout reste à faire. Le 5 novembre dernier, des milliers de personnes défilaient pour le climat dans les rues de Glasgow. En pleine COP26, des hordes de militants ont fait le déplacement pour tirer la sonnette d’alarme du dérèglement climatique. Pendant la marche « Fridays for Future » et après seulement six jours de sommet sur les treize prévus, l’activiste suédoise Greta Thunberg haranguait la foule : « La COP26 est un échec ». Comme un symbole, le président de l’édition s’est affiché larmes aux yeux et « profondément désolé » au moment de clôturer la quinzaine.
À défaut de réformes internationales strictes et avec l’espoir de la neutralité carbone atteinte à l’aube 2050, chaque secteur s’active en coulisses. Sur les bords du fleuve Clyde niche le SWG3, à un kilomètre du Scottish Event Campus qui accueillait les conférences de la COP. Adresse connue et reconnue en Écosse pour son activité nocturne, c’est en matière d’écologie que ce centre d’art pluridisciplinaire a fait parlé de lui.
Facile à chauffer mais extrêmement difficile à refroidir, cet ancien espace industriel fait de briques rouges accueille plus de 250 000 visiteurs à l’année. En 2020, l’équipe du SWG3 s’est donné pour objectif de capter la chaleur corporelle de la piste de danse et de l’utiliser comme une batterie thermique. À l’aide de forages situés jusqu’à 200 mètres sous le club, l’énergie récoltée peut être stockée pendant des mois. Surnommée Bodyheat, cette technologie permet d’économiser jusqu’à 70 tonnes de carbones par an. Dès le mois prochain et dans le cadre de sa stratégie « Objectif zero », SWG3 prévoit de mettre en oeuvre un système de « gestion intelligente des différents bâtiments du site afin d’obtenir une performance environnementale optimale dans chaque espace à tout moment » nous apprend Jenn Nimmo-Smith, chargée de la communication du lieu.
Soutenue par Low Carbon Infrastructure Transition Programme, un programme de transition pour les infrastructures à faible émission de carbone, l’étape 1 du projet Bodyheat peut compter sur une subvention couvrant 50 % des 350 000 £ de couts investissement. En passe de débuter, les travaux pourraient s’avérer être un tournant dans la gestion des émissions carbone pour tous les clubs disposant d’un sol propice au forage.
Clubtopia, en bande organisée
À quelques 1200 kilomètres à l’est, dans la capitale allemande, le projet Clubtopia chapeaute la révolution verte de son secteur. Dans le cadre du projet de neutralité carbone pour 2045, la ville de Berlin fait confiance aux associations BUND-Friends of the Earth Germany, clubliebe e.V. et la Commission des clubs de la ville. Financé par le Sénat et en partenariat avec la municipalité, Clubtopia propose depuis 2011 un accompagnement gratuit auprès de toutes les boites de nuit qui souhaitent entamer ou poursuivre leur transition écologique. L’association offre des formations, des conseils sur mesure en matière d’énergie (réalisable avec un faible financement) ainsi que des ateliers et des laboratoires d’innovation « Future Party Labs » où sont invités tous les acteurs de la scène clubbing.
Cheffe de projet chez Clubtopia, Konstanze Meyer liste les étapes de la transition écologique d’un club. Pour débuter, elle conseille de changer de fournisseur d’énergie pour passer aux énergies renouvelables et de « mettre de l’ordre dans les chiffres ». Autrement dit déterminer la quantité d’énergie consommée par le lieu en électricité, chauffage et climatisation et calculer les émissions liées à la logistique et au transport des DJs et invités avant d’examiner de plus près l’éclairage, le chauffage, les réfrigérateurs et la gestion des déchets.

Si les clubs sont conscients du manque à gagner économique en maitrisant ce virage vert, Konstanze précise qu’en raison de la pandémie « il sera difficile d’atteindre l’objectif ‘zéro émission’ à court terme car les clubs ne disposent pas des fonds nécessaires pour réaliser de gros investissements. »
Financé par le Département sénatorial de l’environnement, des transports et de la protection du climat, le Musicboard Berlin et la Fondation David Nature, Clubtopia a publié en 2015 la première version de son Green Club Guide. Mis à jour l’année dernière, ce document de 61 pages (exclusivement en allemand) apporte des solutions concrètes pour développer une scène plus durable et responsable. Pour les acteurs non-germanophones, un code de conduite en anglais est disponible en libre téléchargement sur le site Clubtopia afin d’aider à « chausser les lunettes vertes » comme aime à le dire Konstanze Meyer.
Redéfinir la fonction DJ
C’est à l’automne 2015 que Paris enfile à son tour le costume de géant vert. Dans la capitale française, la COP21 marque un tournant dans la lutte contre le réchauffement climatique avec l’adoption de l’Accord de Paris. Le texte, ratifié par 189 pays, engage ces derniers à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et à maintenir le réchauffement sous la barre des 2°C d’ici à 2100. Sur les terres de cette convention historique, DJs For Climate Action (DJS4CA) s’active depuis une décennie. Sa première moitié de vie durant, l’association de DJs s’est attelé à sensibiliser son monde aux méfaits des déplacements en avion. Main dans la main avec GreenPeace et la mairie de Paris, le collectif a pris en gallon et en voix. Lancé en 2018, la Earth Night de DJS4CA (plus de 50 évènements étaient prévus pour l’édition 2020) fédère aux quatre coins du globe dans le but de récolter des fonds à destination d’associations de terrain.
En octobre dernier, DJs For Climate Action a franchi un nouveau palier avec la publication du manifeste Futur Vision. Disponible en libre consultation, ce document de 29 pages est le fruit d’une année de recherche. Membre-fondateur de l’association, Ruben Pariente (Michel D.) raconte : « Futur Vision dépeint le visage que nous souhaitons pour l’industrie musicale et le monde de la nuit à l’orée 2030 et ce qu’il faut mettre en place pour y arriver. Il donne des points de repère, une projection dans le futur et des outils aux organisateurs, DJs et clubs pour savoir quoi faire et prendre le train de la transition écologique et social à leur échelle ».
Quand on demande à Ruben (Michel D.) de lister les trois actions prioritaires à mettre en place pour devenir plus vert en tant qu’acteur, l’éternelle lutte contre le plastique tutoie le choix du fournisseur en électricité et la priorité de « faire jouer la scène locale pour réduire les déplacements en avion. Il précise notamment que pour tout festival, l’impact écologique numéro 1 c’est le déplacement des festivaliers pour rejoindre le site. »
Le 16 mars prochain, en partenariat avec l’Académie du Climat, la Mairie de Paris et le magazine écolo Pioche!, DJs For Climate Action réunira tous les acteurs du secteur le temps d’une conférence dans le but de montrer l’importance du rôle de la Culture dans la sensibilisation à la transition écologique. Fondateur de Pioche!, Jean-Paul Deniaud sera du rendez-vous et souligne les progrès de certains clubs parisiens. « La Machine du Moulin Rouge et le Badaboum proposent au public de venir avec leur gourde vide à l’entrée. Le Badaboum a aussi initié un programme d’économie d’énergie et d’isolation thermique, de menus veggie et privilégie les artistes locaux et les transports en train » vante l’ancien rédacteur en chef de Trax Magazine.
Convergence des luttes
« Les festivals sont très certainement les pionniers des questions environnementales dans le milieu culturel déclare Jean-Paul Deniaud. De par leur tenue en plein air, les grands cousins des clubs n’ont eu d’autre choix que d’embrasser les luttes écologiques car « il leur est demandé de rendre le lieu propre à leur départ ». La gestion des déchets par exemple a toujours été une priorité pour les festivals mais ils font face désormais à d’autres enjeux plus difficiles : Comment faire venir 10 000 personnes sans qu’ils n’utilisent leur voiture ou l’avion ? Comment électrifier les scènes et les foodtrucks sans utiliser de groupe électrogène à essence ? Comment proposer une alimentation veggie et des boissons en circuit-court et générer le moins de déchets possibles ? questionne Jean-Paul. Pour observer un début de réponse, il faut se tourner du côté de la vallée de la Loire et le Sarcus festival.
À l’occasion de sa sixième édition prévue septembre prochain, le Sarcus a annoncé qu’aucun artiste ne se rendra sur les lieux en avion. En plus de condamner le moyen de transport le plus polluant, Sarcus déploiera une scène circulaire autonome en énergie (à l’aide de batteries et de panneaux solaires), des foodtrucks végétariens et mettra en place des chartes d’éco-responsabilité signées et respectées par tous acteurs du festival, le tout avec l’objectif de ne produire aucun déchet à l’édition 2024.
Au sein d’autres structures du milieu, la révolution verte fait son chemin. L’industrie du vinyle a surement trouvé son salut dans le projet Green Vinyle Records et certains labels se mettent au diapason.
Créé en 2019, le label d’Anetha Mama told ya va dans ce sens. Forte de 5 sorties sur sa nouvelle structure, l’artiste française a lancé dans la foulée une agence de booking. Mama loves ya né en 2020 avec un double objectif : mettre la lumière sur des artistes émergents et les faire « tourner de manière plus sustainable ».

Dans la lignée de la tribune de Simo Cell dans les colonnes de Libération le 22 juin 2020, la DJ et productrice Anetha explique les tenants et les aboutissants de sa nouvelle structure : « Nous avons mis en place un éco-rider pour tous nos artistes : manger veggie en tournée, bannir le plastique à usage unique, prendre un hôtel proche du club, faire du covoiturage. En plus de privilégier pour ses artistes le train à l’avion , Anetha avoue échanger en amont avec les promoteurs pour réduire les déplacements et utiliser des matériaux plus éco-responsables pour le merchandising et les vinyles.
Si l’éco-responsabilité fait partie intégrante du quotidien de la nouvelle agence, elle embrasse aussi toutes les luttes actuelles : « J’ai le sentiment que les luttes convergent quand je vois que les marches pour le climat, le mouvement #metoo ou encore les manifestations de défense des droits LGBTQ+ secouer le monde ces dernières années ».
Si justice climatique et sociale sont intimement liées, Jean-Paul Deniaud développe : « La convergence entre écologie et inclusion vient du combat de la défense du vivant. Ces valeurs convergent dans le même sens et ont toutes deux leur place dans nos clubs ». De Paris à Berlin en passant par Glasgow, la nuit n’est plus seulement blanche. Alors que le crépuscule mue vers un idéal plus vert, des héros locaux s’agitent aux quatre coins du vieux continent pour rendre la fête respectueuse des gens et de l’environnement, autrement dit éternelle. Look up !