Photo en une © Château Perché
Parmi les grandes industries du festival français, certaines niches se sont solidement implantées depuis quelques années, et avec elles, leurs publics, fidèles. Château Perché, le Macki Music festival, Qui Embrouille Qui, et dernier né, Entente Nocturne, ont tous ce point commun de conserver à taille humaine une ambiance festive et unique qui ont fait leur singularité. Compte-rendu de la conférence qui avait lieu à la Paris Electronic Week cette semaine.
Le public est présent, nombreux. À la modération, Marion Delpech de la web-radio, webzine et collectif PWFM, coordonne cette conférence de la Paris Electronic Week, un grand salon parisien dédié à la rencontre entre professionnels et publics de la scène électronique depuis 5 ans. À l’ordre du jour : « Jauge réduite, programmations alternatives, publics fidèles : focus sur les petits festivals« , dont les enjeux véhiculent à eux seuls une nouvelle facette de la scène électronique.
Des festivals alternatifs à taille humaine
Aujourd’hui, la France compte de nombreux « grands » festivals dédiés à tous les styles de musiques électroniques, mais certains, nouveaux, ont su faire peser la balance pour créer de nouveaux rendez-vous très attractifs. Parmi eux, le Château Perché, dont la cinquième édition avait lieu cette année au Château d’Avrilly dans l’Allier. Sa création découle de l’envie d’ « attirer la vibe berlinoise en Auvergne« , explique avec ironie son co-fondateur Samy El Moudni. François Kraft, également co-fondateur du Macki Music Festival, confirme : « Ça peut paraître cliché, mais beaucoup de projets de collectifs et festivals parisiens sont nés de leurs expériences à Berlin« , poussés par les nombreuses pétitions « Paris Se Meurt » à l’époque où la Ville-Lumière ne connaissait pas encore de rendez-vous plus intimiste. Pendant 4 ans, les collectifs de La Mamie’s et Cracki Records faisaient des soirées en warehouses, et le festival en est devenu la conclusion « en plus grand et en plus propre« , mais tout en conservant son esprit initial.
D’autres, suivent. Niché à Aubervilliers dans La Station – Gare des Mines chaque week-end du 15 août, le festival Qui Embrouille Qui, piloté par AZF, se veut aussi être « un festival alternatif, à taille humaine », où la totalité du line up met exclusivement des artistes émergents, français ou francophones « qui ne sont pas présents sur les gros line-up de festivals« . Au-delà des musiques électroniques, d’autres courants musicaux y trouvent refuge, comme le rock, le punk et bientôt le rap. Et puis le dernier né, le festival Entente Nocturne – dont la première édition aura lieu cette année à Vitry-sur-Seine dans une ancienne centrale électrique EDF, naît également de la volonté de rassembler les grands collectifs parisiens qui ont émergé ces dernières années et « qui ont tous créé de véritables identités autour de la façon dont ils pouvaient faire la fête« . Sur chaque scène du festival, des cartes blanches leur seront données pour que l’esprit de chacun puisse en être témoin.

© Macki Music Festival
Convaincre les pouvoirs publics
À l’heure où la circulaire du 15 mai dernier du ministère de l’Intérieur prévoyait une augmentation des coûts de sécurité pour les organisateurs d’événements et de festivals, la question se pose : comment créer une entité nouvelle face aux pouvoirs publics? Pour le Château Perché qui organise ses rendez-vous dans des châteaux éloignés de la civilisation, le ton est clair : « Il faut convaincre les châtelains, mais pas que. C’est aussi beaucoup de politique avec les pouvoirs publics : la mairie, la préfecture… Il faut redoubler d’effort pour obtenir une autorisation« , explique Samy.
À Paris, le constat est moins tranchant. À l’aube de sa première édition, Entente Nocturne reçoit une aide précieuse de la mairie et de la préfecture de Vitry-sur-Seine, poussé par l’association Le Kilowatt, déjà implanté dans la ville et qui les aide : « On arrive à un moment où les pouvoirs publics commencent à se rendre compte de l’intérêt de la scène électronique et nous soutiennent parce qu’on propose une offre culturelle différente« , pointe Julien. Même heure heureuse pour le Macki, reçu dans le Parc de la mairie de Carrières-sur-Seine depuis sa première édition : « Tant que le maire est là, on pourra y rester !« , plaisante François. Ce festival qui à la base devait être un simple open air n’est donc pas près de rendre les clés.
À petite jauge, programmations alternatives ?
Le point commun de ces festivals est sans nul doute leur création, basée sur une histoire de potes ou de collectifs qui, comme tout le monde, aiment faire la fête. Un gage de sincérité et d’authenticité qui a aujourd’hui fait leur succès. Preuve avec le Macki, fondé par le collectif La Mamie’s et le label Cracki Records, qui avaient déjà fait leurs preuves via leurs événements avant de monter le festival. « Les gens viennent les yeux fermés pour l’ambiance, sans se poser la question si le line-up sera bon ou pas.« , explique François. Le festival a lieu sur deux jours et invite entre 3000 et 4000 personnes au total, entre artistes alternatifs et guests internationaux. Pour autant, sa source, primordiale, se trouve dans son identité et les valeurs qu’elle véhicule pluôt que dans de la communication à outrance. « Ça ne sert à rien d’inviter des gros artistes pour faire un lien artistes/billetterie. Ce qui prime, c’est l’ambiance.« , argue François.

© Qui Embrouille Qui / AZF
Château Perché, lui, compte plus de 200 artistes invités sur sa dernière édition, répartis sur pas moins de 12 scènes. Pour autant, le public ne vient pas pour la programmation : ce qui prime, c’est son ambiance si particulière entre scénographie exceptionnelle, déguisements pour tous et liberté totale. Un brin nostalgique, Samy explique que le festival a aussi connu l’échec avec sa petite sœur, La Mouche sur le Cuir à La Sucrière de Lyon, dont la première édition avait été annulée faute du nombre de tickets vendus : « Le message était tellement complexe que le public ne nous a pas suivi. L’intention et le concept doit être simple et tenir en une phrase. » Un revers de la médaille qu’il analyse avec parcimonie : « Parfois on gagne, parfois on apprend » .
La force de ces « petits festivals » est en définitive sans nul doute portée par les collectifs et artistes alternatifs qui font vivre dynamiquement la scène électronique. « Ne pas avoir de têtes d’affiches, c’est une volonté. On est rattachés au bitume.« , explique AZF avant de poursuivre : « La scène « mainstream » des grands clubs et festivals ne pourrait vivre sans sa scène « underground », ses petits artistes et ses collectifs locaux ». Un postulat que confirmait la conférence inaugurale sur l’état des lieux du marché des musiques électroniques la veille, dont notre compte-rendu se trouve ici, et qui trouve son paroxysme avec Entente Nocturne. Porté par 16 collectifs dont La Quarantaine, Le Camion Bazar ou encore la Paris Dub Session dont Julien en est le fondateur, ce sont leurs identités musicales fortes qui sont au cœur du projet : « Je pense que les publics de ces différentes organisateurs sont davantage intéressés par les organisateurs d’événements et les idées qu’ils véhiculent plutôt que par les line-up qu’ils invitent« . En clair, quand on monte un nouveau festival, vouloir à tout prix y inviter une tête d’affiche peut s’avérer être un piège. AZF sonne : « Tu peux faire venir Ben Klock mais si tu le places au mauvais moment et au mauvais endroit, ça peut être mort. »
Petits festivals deviendront grands ?
À mesure que les éditions passent, seront-ils amenés à accroître leur jauge ? Et en ont-ils même l’envie ? La taille d’un festival est évidemment une question cruciale, mais l’enjeu semble être autre part. « On voudrait croître organiquement et de manière maîtrisée« , précise Samy. Aujourd’hui, Château Perché a connu sa plus grande croissance entre ses deux dernières éditions et comptabilise pas moins de 4000 festivaliers par jour, 900 bénévoles et 200 techniciens. Pourtant, l’esprit n’a pas bougé : « Tant que les gens comprennent le message, on continuera. Sinon, on arrêtera« , poursuit Samy, qui prend exemple sur le Burning Man où il s’est rendu cet été : le festival comptait pas moins de 70 000 personnes, preuve en est que l’esprit peut rester intact.

© Le lieu qui accueillera la première édition du festival Entente Nocturne
Alors, où se trouve le véritable levier ? Jusqu’à quelle jauge est-il possible de conserver l’esprit d’un « petit festival » à plus grande échelle? François est pragmatique : « Évidemment, tu es tenté de grandir vite. Mais si c’est juste pour des raisons économique, ça n’a aucun sens. Ce qui rassemble, c’est cette sensation de créer des ilots, des crew, des familles, et pour préserver ça à très grande échelle, c’est évidemment compliqué. » Au fur et à mesure de ses éditions (et on l’avait constaté l’année dernière), la vibe du Macki continue de séduire. Avec 4000 festivaliers par jour, le parc de la mairie de Carrières-sur-Seine pourrait accueillir jusqu’à 7000 personnes, mais le choix est fait de ne pas saturer l’espace et de ravir les festivaliers qui aiment cette tranquilité. « Pourquoi gagner plus si tout se passe bien pour tout le monde?« , plaisante François, empli de sincérité.
Pour d’autres, le constat est plus amère. AZF souhaiterait évidemment un développement pour Qui Embrouille Qui, et avant tout sortir des murs de La Station. Mais comment? « Notre volonté, c’est de rester au maximum maître de nos moyens de production, parce que c’est notre garantie de pouvoir rester indépendant« , explicite-t-elle. Elle n’est pas dupe : il va falloir aller chercher de l’argent, mais il est de leur devoir de conserver la liberté de leur festival. Un cri de détresse sonne dans la salle : « Si on perd notre liberté, nos concepts s’écroulent.« , conclut-elle. Car aujourd’hui, la scène électronique n’a pas fini de grandir. Ces « petits festivals » émergent, se multiplient, mais demeurent des joyaux festifs où le lien social et le partage entre organisateurs et festivaliers en est le tissus vivant. Tous ces organisateurs, avant d’être des fondateurs ou co-fondateurs de festivals, sont des potes et des artistes, qui œuvrent chaque jour pour que la fête soit belle et intemporelle. Un « paroxysme de vie, un plus d’interactions » pour Samy, « indissociable du spontané et de l’instantané » pour François.
La conférence se termine sur une belle note. Alors que les premiers auditeurs applaudissent, François entonne un : « Bon, on va faire la fête ?« . Effectivement, faisons avant tout la fête.